
« Le promeneur mange son pain, prend son thé, sourit au paysage, ignorant tout de la femme qui, jadis, se tenait ici même, par un autre été, et qui, comme lui, regardait le reflet de la rivière entre les arbres ou levait la tête vers le ciel baigné de soleil. »
On ne peut pas se tromper avec un roman de Daphné du Maurier, et j’avais besoin d’une valeur sûre en cette période un peu chaotique de lecture. S’il est toujours agréable de retrouver le style de la romancière et le caractère irrésistiblement romanesque de ses intrigues, il est assez curieux de constater l’écart qui oppose ses romans. Il m’est impossible de mettre sur un même pied d’égalité le cultissime et inégalable Rebecca, ou même Ma cousine Rachel, avec des romans comme L’amour dans l’âme, ou encore La crique du Français. Si ces deux derniers sont plaisants à lire, séduisants par la plume, et divertissants par la variété des aventures qu’ils proposent, ils ne se hissent pas, selon moi, dans la même catégorie que les deux premiers cités.
« Je me demande à quel moment le monde s’est mis à aller de travers, à quel moment les hommes ont oublié comment vivre, aimer, être heureux ? »
La crique du Français nous entraine une nouvelle fois sur les côtes de Cornouailles, si chéries par la romancière. Dona St. Columb est une femme mariée, mère de deux jeunes enfants, et habituée à faire parler d’elle dans le tout Londres par ses frasques. Lasse de cette vie superficielle, elle décide de se réfugier dans la maison de famille en bord de mer, Narvon. La demeure, inoccupée durant de nombreuses années, est poussiéreuse et inhospitalière. Pourtant Dona est séduite par cette retraite coupée du monde, au coeur d’une nature luxuriante et apaisante. Sa tranquillité est hélas dérangée lorsqu’un lord des environs vient l’informer des agissements d’un terrible pirate français, qui sévit dans la région depuis plusieurs mois sans qu’on arrive à l’arrêter. Loin d’être rebutée, Dona, assoiffée de liberté et d’aventures, va bien entendu être attirée par cet énigmatique pirate, qui va venir bousculer son existence toute tracée.
« Tout ceci n’est qu’éphémère, songeait-elle. Un fugitif instant, qui jamais ne reviendra. Car hier est déjà entré dans le passé, il n’est plus à nous, et demain, encore inconnu, nous sera peut-être hostile. »
Sans rentrer dans les détails de l’intrigue et des multiples aventures que va vivre Dona au contact du pirate, c’est un roman prenant et très agréable à lire. J’ai malgré tout été étonnée par certaines maladresses, alors qu’il a été écrit après Rebecca qui m’a paru maîtrisé à la perfection de bout en bout. Les clichés sur les différences entre les hommes et les femmes m’ont en particulier beaucoup agacée, cette vision romantique du pirate, de l’homme qui peut partir à l’aventure comme bon lui semble alors que les femmes sont juste bonnes à faire des enfants. Si ces stéréotypes correspondent aux diktats de l’époque, ainsi qu’aux frustrations que pouvait ressentir Daphné du Maurier elle-même, si éprise d’évasion et de la mer, je trouve qu’ils sont assez grossièrement retranscrits dans le roman, le rendant peut-être un peu vieillot. De même, Dona est parfois un peu affligeante, avec ses velléités d’aventures égoïstes et inconsidérées qui soulignent bien plus une grande immaturité qu’une liberté d’esprit louable. La romancière la compare par ailleurs inlassablement à une « bohémienne » pour montrer combien elle se moque des convenances, mais avec une redondance et une maladresse étonnantes. Ce sont de menus détails, mais qui creusent à mon sens comme je l’évoquais plus haut l’écart séparant ce roman des chefs d’oeuvre de Daphné du Maurier.
« Vous oubliez que les femmes sont plus primitives que les hommes. Pendant un temps, elles peuvent vagabonder, jouer avec l’amour, avec l’aventure. Mais, comme les oiseaux, un instinct impérieux les force, un jour, à construire un nid douillet et sûr, pour y avoir leurs petits. »
Hormis ces considérations et même si cela ne restera pas l’un de mes préférés de l’auteure, j’ai passé un très bon moment de lecture, totalement envoûtée par l’intrigue, fascinée par les descriptions d’une côte superbe et encore préservée, et incapable de lâcher le roman avant d’en connaître son dénouement.
Ma note (3,5 / 5)
Éditions Le Livre de Poche, traduit par Berthe Vulliemin, 29 mars 2000, 283 pages
Ça donne envie ! merci pour la découverte !