On était des loups – Sandrine Collette

« C’est la nuit je regarde l’enfant qui dort. Un tout petit enfant, il ne sait rien du monde, il ne sait rien faire. Un enfant ce n’est pas fait pour la vie, cette vie-là je veux dire qui est immense et brutale devant lui devant nous.
La vie qui. »

Coup de poing que ce roman de Sandrine Collette qui attrape le lecteur par les tripes dès les premières lignes, pour ne plus le lâcher. Liam vit dans la montagne avec sa femme Ava et leur fils de cinq ans, Aru. Une vie coupée du monde en pleine nature, splendide mais sauvage et parfois cruelle. Un jour, alors qu’il rentre de la chasse, il pressent qu’un drame s’est produit : c’est le silence complet, et il n’aperçoit personne pour l’accueillir.  Il ne tarde pas à trouver le corps inanimé d’Ava, tuée par un ours, et dessous, protégé dans un dernier élan maternel, Aru, vivant. Alors que ses pensées se bousculent dans sa tête, Liam est certain d’une chose : un enfant de cet âge n’est pas fait pour cette vie sauvage, et surtout, même s’il peine à se l’avouer, il ne veut pas de lui alors qu’Ava n’est plus là. Il scelle deux chevaux, et décide de conduire Aru ailleurs. Mais cette chevauchée, hantée par les souvenirs, les remords et les doutes, va se révéler bien périlleuse.

« Je suis en colère contre la terre la vie le monde, et le monde je jure je lui ferai la peau. La peau du monde je la tendrai dans un cadre, je la raclerai jusqu’à la dernière miette de sa chair et je l’exposerai devant chez moi pour qu’on sache ce qui se passe quand on me fait du mal. La peau du monde serait mon trophée, je la brandirai comme on brandit un crâne, je l’assècherait comme on sèche un coeur ce sera un lambeau, une squame une toile et sur cette toile je réécrirai quelque chose avec le sang de mes veines avec le sang de ma haine, la peau du monde ce sera mon vêtement. »

Porté par un style hypnotique, haché et brutal, le récit nous offre une plongée dans les tourments de cet homme rustre et colérique, aux prises avec sa paternité. Aveuglé par sa douleur et sa colère, il ne supporte plus la vue de cet enfant taiseux et terrifié qui lui apparait comme une charge inutile, et sur qui il fait peser la disparition de son amour perdu. Finalement il le connait à peine, il n’en voulait pas de toutes façons, mais Ava avait insisté alors il a cédé, et l’a laissée s’occuper de cet intrus seule, sans trop s’en préoccuper. Lui il avait la chasse, la montagne, le chant des loups, et la présence réconfortante de ses chevaux. Il n’a jamais voulu la compagnie des hommes, il a toujours fui la famille, traumatisé par des années de maltraitance, et la société, qu’il ne parvient pas à comprendre. La violence du deuil va le contraindre à affronter ce que signifie son rôle de père. Auréolé d’une tension palpable, le récit suit le cheminement des pensées de Liam, des plus émouvantes aux plus atroces, tandis qu’il évalue une à une les possibilités qui s’offrent à lui pour ne pas avoir à s’occuper de cet être fragile qui le suit sans oser dire un mot.

« En ce temps-là on était des loups et les loups étaient des hommes ça ne faisait pas de différence on était le monde. Le chant des loups nous appelle parce que c’est notre chant et aussi loin qu’on puisse remonter il y a l’éclat d’un animal en nous, c’est pour ça que ça m’émeut et que des larmes viennent brûler le bas de mes yeux. Ce n’est pas du chagrin c’est une émotion profonde viscérale racinaire et ceux qui ne ressentent pas ça ils ont tout oublié, ce sont des gens déjà morts. »

L’adversité et la violence guettent, d’abord latentes puis brusquement révélées. Tout autour d’eux, se déploie une nature aussi époustouflante qu’inhospitalière, qui n’attend que l’occasion de reprendre ses droits, une menace qui ferait presque oublier le danger que représente la seule brutalité humaine.

Ma note 4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

Éditions JC Lattès, 24 août 2022, 208 pages

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