
Résumé de la quatrième de couverture :
Dans le premier roman de Daphné du Maurier, qui parut en France en 1950 sous le titre La Chaîne d’amour, la mer, fascinante et cruelle, occupe une place centrale. Elle lie tous les membres de la famille Coombe, installée à Plyn, un port de la côte sud des Cornouailles ; sur un siècle et quatre générations, se déroule le destin de femmes insoumises et d’hommes sauvages, navigateurs ou charpentiers de marine, qui tous ont le visage tourné vers les flots… Amours, haines, vengeances et trahisons, Daphné du Maurier excelle dans la peinture des passions humaines.
« La mer, avec ses dangers et sa splendeur, porte, dans son sein, la grandeur incommensurable des choses inconnues. »
Mon avis :
Je ne pensais pas aimer autant ce roman ! Il y a parfois des maladresses, des redondances, ce qui n’a rien d’étonnant pour un premier roman, d’autant plus qu’il est incroyablement ambitieux. Mais cela n’a pas beaucoup d’importance dans le fond, car j’ai eu l’impression de trouver dans ce roman l’âme de la romancière, qui paraît y avoir mis beaucoup d’elle-même : l’amour de la mer et des Cornouailles, la détestation de Londres, l’importance de la famille et des liens du sang, et jusqu’au personnage de Janet, inspiré par la grand-mère de l’auteure, Jane Slade. Tout est relié, génération après génération, et à cet égard, il me semble qu’on aurait dû garder le titre français initial, La Chaîne d’amour, qui est bien plus évocateur du sens profond du roman. Le titre actuel laisse présager une romance, qui n’est pourtant que très épisodique.
« Poussière ! La vie n’a pas de sens. Elle n’est qu’une question de temps, entre la naissance et la mort, une onde à la surface de l’eau. »
Le roman s’étale sur quatre générations d’une même famille : Janet, Joseph, Christopher, et enfin Jennifer. La minutie avec laquelle Daphné du Maurier a présenté cette famille, et les liens entre ces personnages, m’a bluffée. Il y a notamment un effet miroir vraiment intéressant, qui se décline à plusieurs niveaux. Tout commence par une femme, et se termine par une femme, Janet et Jennifer se rejoignant dans leur soif d’indépendance et d’affranchissement des codes sociaux, à des époques différentes. Et surtout, les relations familiales, qu’elles soient conjugales ou filiales, se répondent inexorablement, les parents transmettant aux enfants les espoirs et les culpabilités du passé. Ainsi la relation entre Janet et son fils Joseph, puis celle entre Christopher et sa fille Jennifer se font-elles écho. Janet entretient avec son fils, dont la venue lui a été « annoncée » dans une vision un soir de brume, une relation fusionnelle incroyable. Il est comme un prolongement d’elle-même, celui qui pourra vivre la vie qu’elle n’a jamais pu vivre, étant une femme. Lui pourra prendre la mer et parcourir le monde, alors qu’elle a dû se résigner à la vie tranquille et fade d’un foyer. Après la mort de Janet, Joseph cherchera à combler le manque en retrouvant une relation aussi forte avec son propre fils, espérant le voir prendre sa suite comme capitaine de navire. Christopher paiera cher le poids d’être une déception, mais trouvera finalement la paix avec la naissance de sa fille, Jennifer, dont le but ultime sera de regagner Plyn afin de renouer avec l’histoire de son père. J’ai trouvé intéressant ces deux relations inversées, mère-fils, puis père-fille, qui se répondent, cherchant à redresser les torts du passé, mais demeurant dans une boucle infinie.
« Mais tout ce que je sais, c’est qu’il n’y a pas de place pour le temps ici, ni dans notre monde, ni dans aucun monde. Il n’y aura pas de séparation pour nous : pas de commencement, pas de fin. Nous sommes suspendus l’un à l’autre comme les étoiles du ciel. »
Tout part de Janet, de son désir de liberté et de la relation qu’elle entretient avec son fils. Cela déterminera la vie du bateau qui portera son nom et qui traversera les générations, les attentes qui pèseront sur les membres de cette famille liée à la mer, ainsi que la personnalité non seulement de Joseph, mais également d’un autre de ses fils, Philip, marquée par le désir de vengeance. Le manque d’amour maternel et la préférence accordée à Joseph l’animeront d’un ressentiment durable, et auront des conséquences dramatiques pour les générations futures. Cette frustration trouvera un écho dans celle qui opposera Joseph et Christopher, puis enfin celle entre Jennifer et sa mère, Bertha, qui rejette entièrement la vie menée dans les Cornouailles. Des parents qui n’arrivent pas à se lier à leurs enfants, des enfants qui ne parviennent pas à comprendre leurs parents.
« N’est-ce pas étrange, tous ces gens qui se sont aimés et auxquels il a toujours manqué je ne sais quoi pour que cet amour fût parfait ? Ils sont partis, se sont querellés, se sont perdus… Il y avait toujours quelque chose, quelque part, qui n’allait pas bien pour eux. Ils avaient toujours un sentiment de solitude. J’éprouve la même chose. »
C’est vraiment un roman magnifique, une saga familiale qui nous entraîne dans un port des Cornouailles, traversant l’Histoire et ses remous, avec la mer comme un solide point d’ancrage, appelant sans cesse les membres de la famille Coombe à son bord. Daphné du Maurier déploie tous ses talents de conteuse, sublimant les liens transgénérationnels avec une plume déjà extrêmement travaillée. Tout comme Janet Coombe s’est interrogée, tenant sa première petite-fille dans les bras, sur l’avenir et sur la transmission ; Jennifer des décennies plus tard, s’interrogera sur son héritage, sur le rôle de ceux qui reposent sous les dalles d’un cimetière et qui ont marqué leurs descendants de leur empreinte et de leurs choix. C’est loin d’être le roman qui a rencontré le plus de succès, et pourtant malgré ses imperfections je l’ai trouvé très abouti, avec des thèmes qui traverseront toute l’oeuvre de Daphné du Maurier, des personnages aux destins romanesques fascinants, et une famille à laquelle on s’attache énormément, pleurant leurs peines et partageant leurs joies. Enfin, on devine sous les superbes descriptions de ce petit coin de Cornouailles l’amour inaltérable de Daphné du Maurier pour la mer et ces côtes sauvages, ce qui m’a terriblement donné envie d’aller m’y perdre à nouveau.
Ma note (4,5 / 5)
Éditions Livre de Poche, traduit par François et Alix d’Unienville, 8 janvier 2014, 504 pages
Très bel article ! Et j’ai ressenti les meme choses que toi en le lisant ! J’ai hâte d’en discuter ce soir !
Chouette ça promet de superbes discussions !
Merci pour ce bel article qui me donne très envie de lire ce roman. J’aime beaucoup les citations que tu choisis car cela permet de voir si le style de l’auteur nous plaît. En l’occurrence, ces citations me font penser à Susan Fletcher. Je devrais sûrement essayer Daphné du Maurier! La couverture est superbe.
C’est vrai qu’il y a un petit air de ressemblance dans ce roman 😉 Je te conseille Rebecca de Daphné du Maurier, c’est un roman magistral !