
« Des chagrins, on en trouve partout. »
Résumé :
Après une enfance passée dans un village riant du Hampshire, Margaret Hale, fille de pasteur, s’installe dans une ville du Nord. Témoin des luttes entre ouvriers et patrons, sa conscience sociale s’éveille. John Thornton, propriétaire d’une filature, incarne tout ce qu’elle déteste : l’industrie, l’argent et l’ambition. Malgré une hostilité affichée, John tombera sous son charme.
Mon avis :
Un chef d’oeuvre de la littérature victorienne… J’ai adoré ce roman, que j’ai lu quasiment sans interruption en à peine deux jours. Elizabeth Gaskell est moins connue que ses contemporaines Jane Austen ou Charlotte Brontë, pourtant Nord et Sud est un roman absolument remarquable.
Margaret Hale, déracinée de son Sud natal en raison d’un cas de conscience de son père, pasteur, se retrouve confrontée à une nouvelle vie dans le Nord de l’Angleterre, à Milton, une ville industrielle, rude et sale. Les filatures de coton y sont en effet florissantes, et elle fait rapidement la connaissance d’un de leurs patrons, John Thornton. Tous deux ont des personnalités extrêmement antagonistes et ne se comprennent pas, malgré une attirance évidente.
« – Voyons, jamais Margaret n’envisagerait de s’attacher à un homme tel que lui, j’en suis certain. Jamais une idée pareille ne lui a traversé la tête.
– Il suffirait qu’elle lui ait traversé le coeur. »
Jusqu’ici on pense bien sûr à l’intrigue d’Orgueil et Préjugés. Pourtant, Nord et Sud offre une trame beaucoup plus profonde. Là où le roman de Jane Austen se déroulait dans le cadre doux et bienheureux de la bourgeoisie provinciale, Elizabeth Gaskell confronte son héroïne à des réalités brutales et donne à son récit une épaisseur psychologique et sociale extraordinaire. S’affrontent ainsi métaphoriquement le Nord et le Sud au travers de Margaret et de Thornton, la vie paisible à la campagne face à l’industrialisation des villes et la misère sociale. L’un et l’autre, campés sur leurs positions, vont apprendre de cette confrontation de leurs idées. L’auteure dote son héroïne d’une conscience politique et sociale doublée d’une forte personnalité.
En découle un récit extrêmement riche, pointant du doigt les préjugés, offrant une dénonciation des conditions de travail en même temps qu’une explication des nouvelles contraintes du commerce, critiquant habilement la religion lorsqu’elle s’oppose au raisonnement intellectuel. Le statut des travailleurs est minutieusement exposé, en n’omettant aucun détail des problématiques liées aux conditions de vie ouvrière, aux grèves, aux syndicats…, ce qui suggère un travail de documentation colossal. Elizabeth Gaskell insiste beaucoup sur l’incompréhension entre les patrons et leurs ouvriers, qui ne peut qu’avoir des conséquences dramatiques pour tous, et milite ainsi pour la concertation.
« Je constate qu’il y a deux classes dépendant étroitement l’une de l’autre et qui, pourtant, considèrent chacune les intérêts de l’autre comme opposés aux siens. »
Milton, qui avait tant dégoûté Margaret, et à travers elle le lecteur, à son arrivée, devient un endroit profondément humain, par opposition à la frivolité qui transparaît de la vie de sa cousine à Londres. L’amitié de la jeune fille avec la famille Higgins est notamment extrêmement touchante. Le réalisme auquel s’attache le récit veut par ailleurs qu’aucune épreuve ni souffrance humaine ne soit épargnée aux personnages. Il y a enfin bien sûr une émouvante histoire d’amour, mais qui présente justement l’intérêt de ne pas occuper le roman à elle seule. Elle fait au contraire partie d’un roman ambitieux qui décrit un monde changeant et sans concessions, et dans lequel s’exprime la volonté farouche de son auteure de lutter contre l’injustice et pour les opprimés, quels qu’ils soient : les ouvriers, les femmes, ou encore les soldats mutins en la personne de Frederick, le frère de Margaret.
« La loyauté et l’obéissance à la sagesse et la justice sont de nobles sentiments. Mais, il est plus noble encore de défier un pouvoir arbitraire, utilisé de façon cruelle et inique, et cela, non pas pour nous défendre nous, mais pour défendre les plus faibles. »
Une fresque magnifique de l’Angleterre du XIXe siècle, qui vient prendre sa place dans mes coups de coeur et me fait une nouvelle fois admirer l’audace d’une femme à prendre la plume sur de tels sujets à cette époque.
Ma note (5 / 5)
P.S. : Il existe une adaptation de ce roman en mini-série par la BBC, qui est assez réussie, bien qu’on puisse déplorer les choix décevants faits pour le personnage de Margaret. Elle perd en effet sa forte personnalité, qui faisait justement l’attrait du roman, pour devenir une héroïne un peu trop édulcorée et rougissante.
J’avais déjà repéré ce livre (notamment sa couverture), mais là, tu me donnes très envie d’y plonger mon nez ! 🙂
Je ne peux que t’y encourager, c’est un roman magnifique !
Je viens de terminer le roman, trop court ! J’ai adoré.
Oui les romans extraordinaires sont malheureusement toujours trop courts ! Je suis très heureuse qu’il ait trouvé une lectrice enthousiaste !
Je suis en train de le lire en suivant vos conseils . Je n’arrive pas à le lâcher.
J’ai à la fois hâte de voir comment évoluent les relations entre les 2 héros et en même temps jai envie de prendre le temps et profiter de cette lecture si plaisante.
Merci encore de vos partages
Anne
Oh merci de votre message cela me fait tellement plaisir ! Je comprends cette sensation, j’aimerais moi-même le relire comme si c’était la première fois !