
Résumé :
Brooklyn, années 30, quartier irlandais. Marie vit avec ses parents, immigrés avant sa naissance, et son grand frère Gabe dans un minuscule appartement bien astiqué. Son père boit trop mais il aime sa fille tendrement. Sa mère a la rudesse des femmes qui tiennent le foyer. Tandis que Gabe se destine dès le plus jeune âge à la prêtrise, Marie traîne sur les trottoirs de New York avec ses copines, colportant les cancans du bloc d’immeubles, assistant aux bonheurs et aux tragédies d’un quartier populaire. Viendront le temps des premiers émois, du premier emploi, et de son mariage avec Tommie. Ensemble, ils vont élever quatre enfants qui connaîtront l’ascension sociale américaine.
Mon avis :
Le récit d’une vie, une vie parmi tant d’autres dans le quartier irlandais de Brooklyn, ce qui n’était pas sans me rappeler le roman de Colm Tóibín, Brooklyn. Une vie, ou plutôt des fragments de vie, épars, d’une femme, Marie ; une vie de fille, d’épouse, de mère, d’amie, de soeur, depuis son enfance jusqu’à la vieillesse. De ses 7 ans, dans les années 30, assise sur les marches d’un perron, attendant le retour de son père du travail, jusqu’à un âge avancé et indéfini, assise solitaire dans une maison de retraite, attendant le sommeil, ou la mort. Les époques s’alternent, au gré des souvenirs et on se retrouve plongé dans la vie de cette femme attachante, de sa famille, de ses voisins, à une époque où tout change. On s’aperçoit d’ailleurs du fort contraste entre son enfance, et l’enfance qu’auront ses propres enfants.
« Si je devais de nouveau rêver, je rêverais de moi dans cette pièce, à cette heure. Je m’assiérais sur le coussin décoloré à côté de lui. »
Un quotidien où la famille est omniprésente, étendue aux voisins qui font autant partie du quotidien que les habitants du même toit. Mais aussi la mort ; dès le début du récit, avec une jeune voisine qui chute dans l’escalier. Puis tout le long du roman, la mère d’une de ses amies, une vieille dame, tous ceux qu’elle verra défiler lorsqu’elle commencera à travailler pour Mr Fagin, le croque-mort, un aperçu de sa propre mort aussi, qu’elle frôlera… La religion enfin est également omniprésente, voire écrasante parfois : ses parents, très pieux, et incroyablement fiers lorsque son frère prend le chemin du séminaire. Marie, elle, est toujours un peu en marge : surnommée la petite païenne affectueusement par son père par la distance qu’elle a avec la religion ; puis la petite effrontée par son entêtement à s’écouter elle-même plutôt que les conseils de sa mère, de son médecin, de ses enfants ; ou encore l’ange consolateur dans son travail à la morgue, proche des endeuillés et pourtant si accrochée à la vie. Elle a une perspective sur le monde qui l’entoure extrêmement fraiche et lumineuse, malgré, ou peut-être plutôt grâce à ses mauvais yeux qui l’obligent à porter des grosses lunettes, et qui ne l’empêchent pourtant pas de tout observer minutieusement.
« Les jours ordinaires étaient un voile, un pan de tissu fin qui faussait le regard. Il s’écartait dans des moments comme ceux-ci, et alors tout ce qui était fragile, terrible et immuable se révélait distinctement. »
La plume d’Alice McDermott est simple, délicate, et rend ce récit extrêmement émouvant, et ses personnages attachants. Marie d’abord bien sûr. Mais aussi son frère, Gabe, si beau, si intelligent, si sensible, mais en proie à tant de tourments intérieurs qui resteront mystérieux aux yeux de sa soeur. Ou encore leur père, alcoolique, malade, mais si débordant de tendresse pour ses enfants. Tom, son mari, attentif, timide et ayant toujours peur de mal faire, et masquant tout ça en étant bavard comme une pie.
« L’un de nous deux au moins, nous le savions, nous en étions certains, ne connaîtrait plus jamais la solitude. Ce serait Tom, en définitive. »
J’aime beaucoup ce genre de récit, le quotidien raconté simplement, les bonheurs et les drames, avec en toile de fond une époque, la guerre, et une société qui change radicalement. De l’aube au crépuscule, d’un temps où ses yeux voyait tout du monde, à celui où tout a sombré dans l’obscurité et le flou. Des souvenirs qu’une vieille dame, désormais solitaire et aveugle, voit défiler avec une netteté et une précision chirurgicale. Car ce sont toutes ces petites choses que personne d’autre qu’elle n’a vécu et ressenti de la même façon qui ont fait la richesse de sa vie. La force d’un témoignage. C’est incroyablement banal et touchant.
Ma note (4 / 5)
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