L’Empreinte – Alexandria Marzano-Lesnevich

Résumé :

Etudiante en droit à Harvard, Alexandria Marzano-Lesnevich est une farouche opposante à la peine de mort. Jusqu’au jour où son chemin croise celui d’un tueur emprisonné en Louisiane, Rick Langley, dont la confession l’épouvante et ébranle toutes ses convictions. Pour elle, cela ne fait aucun doute : cet homme doit être exécuté. Bouleversée par cette réaction viscérale, Alexandria ne va pas tarder à prendre conscience de son origine en découvrant un lien tout à fait inattendu entre son passé, un secret de famille et cette terrible affaire qui réveille en elle des sentiments enfouis. Elle n’aura alors cesse d’enquêter inlassablement sur les raisons profondes qui ont conduit Langley à commettre ce crime épouvantable.

« Il s’agit d’un livre sur la façon dont nous comprenons nos vies, le passé, sur la façon dont nous nous comprenons les uns les autres. Pour y parvenir, nous créons tous des histoires. »

Mon avis :

Ce livre est une véritable claque. Côte à côte sont déroulées deux histoires. Celle de Ricky, un homme qui a été condamné à la peine de mort après avoir tué et violé un petit garçon. Celle d’Alexandria, cette jeune étudiante en droit qui se trouve confrontée lors d’un stage d’été à cette affaire sordide. D’un seul coup elle revoit la petite fille qu’elle était, violée avec ses soeurs par son grand-père pendant des années. C’est la collision de deux histoires, de deux existences. Toutes deux nous seront racontées, progressivement, minutieusement, mais aussi, irrémédiablement, avec beaucoup d’émotion. Il n’y a pourtant jamais aucune complaisance d’un côté, et aucun pathos de l’autre. Simplement l’histoire. Et Alexandria Marzano-Lesnevich est une conteuse hors pair.

« Qui sait pourquoi le passé transparaît aux moments où il transparaît ; qui sait pourquoi un secret devient soudain trop lourd à porter ? »

Par un habile mélange entre faits réels et imagination, recréant des scènes intimes avec une vivacité incroyable, nous plongeant dans le quotidien de Ricky, mais aussi dans le sien, petite fille qui a dû subir le silence de sa famille autour de sa plus grande souffrance, la démarche de l’auteure semble double : personnelle tout d’abord, tenter de comprendre et se reconstruire. Et l’autre presque métaphysique ; sonder la nature de l’homme, les limites de la justice et du droit. Alexandria a toujours été contre la peine de mort, mais lorsqu’elle est confrontée à l’affaire Ricky Langley, sa première pensée est qu’elle veut qu’il soit exécuté, et elle en est profondément ébranlée. Cela veut-il dire qu’elle voulait également que son grand-père meure ? Ce grand-père qui, contrairement à Ricky et comme beaucoup de pédophiles malheureusement, n’a jamais eu à rendre de comptes ?

« Il n’y a aucun moyen d’échapper aux souvenirs, pas lorsqu’ils viennent de l’intérieur. »

Que dire si ce n’est que c’est l’un des romans les plus brillants qu’il ne m’ait jamais été donné de lire ? Brillant pour la masse de travail, de recherches, de documentation qu’il a nécessairement impliqué. Brillant par la construction même du récit, qui n’est jamais linéaire, ni chronologique, mais qui obéit à une logique extrêmement personnelle et réfléchie. Brillant pour la profondeur et la finesse de l’analyse psychologique.  Brillant pour l’intelligence et le courage qu’il a fallu pour bâtir son roman sur ce parallèle qu’elle fait entre deux vies qui n’avaient rien à voir, et qui pourtant, aussi insupportable que cela a dû lui paraître, se font écho. Brillant parce qu’il nous force à ressentir de l’empathie, et même parfois une certaine tendresse, pour un pédophile doublé d’un meurtrier. Ce livre, qui effectivement ressort à la fois du thriller, de l’autobiographie et du journalisme d’investigation, démontre le maillage complexe de la psychologie humaine, sort des sentiers battus pour raconter une histoire, et l’importance de l’histoire dans un drame survenu des années plus tard, l’importance de l’histoire dans la vie d’un être humain. L’auteure s’est lancée sur les traces de la vérité, afin de comprendre. Mais la vérité est bien plus complexe qu’il n’y paraît, bien plus complexe que ce que des procès-verbaux et des compte-rendus d’interrogatoires peuvent laisser transparaitre.

« L’homme au centre de ce procès, dont la personnalité sera interminablement discutée et débattue, interminablement reconstituée et disséquée dans un dossier qui finira par faire près de trente mille pages, cet homme restera en ce sens une énigme. Il est bien possible que ce que l’on voit en Ricky dépende davantage de qui l’on est que de qui il est. »

Ce livre est dérangeant et déchirant dans le même temps. Dérangeant bien sûr par son sujet, qu’y a-t-il de plus noir et d’abject, de plus tabou aussi, que le viol d’un enfant ? Et l’auteure ne nous épargne rien, il faut que sa réflexion, que son cheminement aille jusqu’au bout. Dérangeant également pour l’aperçu qu’elle nous donne de ce que nous considérerions tous a priori comme un monstre, sans chercher à y regarder de plus près. Mais le plus dérangeant au fond c’est cette part de vérité qui transcende le livre. C’est une autobiographie, dans laquelle l’auteure raconte son histoire et ses souffrances, et c’est aussi une enquête extrêmement documentée. Ce n’est pas simplement une fiction que l’on pourrait mettre à distance, le réel nous malmène tout au long du livre.

Mais ce livre est également d’une beauté à couper le souffle. L’auteure s’est livrée entièrement, n’a rien occulté, s’est posée toutes les questions, a cherché un sens à l’innommable. J’ai été frappée par sa solitude, par la profondeur de sa blessure à laquelle elle ne semblait trouver aucun remède, butant sans cesse devant le silence de sa famille. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’histoire de Ricky Langley va constituer un pivot dans sa vie.

« Sous la surface de ce qui peut être dit subsiste la vibration d’un monde qui n’appartient qu’aux ténèbres. »

L’auteure place tout au long du livre la loi et l’humain face à face. Que peut la loi face à l’insaisissable vérité ? Que peuvent un avocat, un jury, un juge, chacun porteurs de leur propre histoire et de leur propre subjectivité, face à l’histoire qui se déroule sous leurs yeux et sur laquelle ils vont devoir se prononcer ? Il y a eu trois procès dans l’affaire à laquelle elle s’est intéressée, avec à chaque fois des plaidoiries différentes, qui ne sont en elles-mêmes que des histoires qu’on raconte, jamais les mêmes selon le point de vue et le point de départ que l’on se donne, et la cause que l’on cherche à défendre. Où se trouve la vérité dans toutes ces histoires ? Ce livre n’est pas une crise de foi mais une crise de loi. Après ce fameux stage, Alexandria s’est détournée du droit pour enseigner la littérature. Les histoires encore et toujours.

Ma note 5 out of 5 stars (5 / 5)

3 commentaires sur “L’Empreinte – Alexandria Marzano-Lesnevich

  1. Ce livre me donne très envie de le lire car en effet : qu’est ce la vérité ? Chacun a la sienne. De plus ce genre de fait est tellement abominable que de prime abord même si on est contre la peine de mort, on a envie d’exécuter la loi du talion ….Merci encore pour ce commentaire si clair

    1. Le sujet est en effet difficile, et pourtant le roman brille d’intelligence et de beauté. C’est un tour de force !

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