Le tour du malheur – Joseph Kessel

Le roman commence en 1915, Richard Dalleau a dix-sept ans et tergiverse à l’idée de s’engager. Pour l’heure, il profite de ses vacances en famille, au cours desquels il découvre l’attrait des femmes en la personne de Mathilde, une domestique. Son frère cadet Daniel, qui lui voue une admiration sans bornes, est là pour garder son secret à l’abri de sa mère, qui prendra pourtant conscience bien trop vite à son goût des évolutions de son ainé. Alors qu’il commence l’université, Richard se fait un ami, de ceux qu’on garde à vie, Etienne Bernan. Leur relation, entière et fidèle, est pourtant teintée de rivalités. Richard jalouse la richesse de son ami, son statut social, son grand appartement, son quartier luxueux ; Etienne quant à lui, méprise ses propres parents, l’un corrompu, l’autre s’oubliant dans les bras d’amants de plus en plus jeunes, et envie à Richard sa vie familiale simple, protectrice, et débordant d’affection. Pour des raisons différentes, tous deux décident de s’engager, leurs chemins se séparant momentanément, donnant une orientation décisive à leurs destins.

« Chez tous les hommes, il y avait un pouvoir de beauté, de bonté, endormi, obscurci, entravé par des habitudes, des penchants, ou des vices, mais inaltérable dans son germe et toujours prêt à transformer la triste argile qui le contenait. »

Le récit suit essentiellement la trajectoire de Richard, ainsi que celles de ceux qui croiseront sa route, fugacement ou durablement. Orgueilleux et ambitieux, Richard va rapidement devenir riche et célèbre, reniant les principes moraux de ses parents. L’optimisme n’est pas de mise : des tranchées à l’entre-deux guerres, on assiste à une véritable descente aux enfers de celui qui va rapidement devenir un anti-héros détestable. On se prend de pitié pour Daniel, ce frêle garçon d’une beauté émouvante, si influençable et sensible qu’il ne pourra manquer d’être une victime collatérale du frère auquel il voue un tel culte. C’est tout le désenchantement d’une jeunesse hantée par une guerre terrible, qui espérait voir récompenser son dévouement, ses traumatismes et ses blessures par une belle vie, faite de gloire, de richesse et de plaisirs faciles. Sexe, drogue, jeux d’argent, les personnages cèdent à toutes les dépravations, illustrant une société à la dérive où tous les espoirs semblent enterrés.

« Je n’ai jamais compris ce qu’on nomme amour. Je ne peux pas dire si je vous aime, mais vous possédez une force qui m’enlève l’angoisse. Je ne peux pas me passer de vous. Je ne peux pas. Et qu’est-ce que je demande ? Un sourire de temps à autre. C’est misérable, sans doute, mais cette misère, je saurai vous l’arracher. »

Épopée romanesque en quatre volumes, réunis en deux tomes, cette saga n’est pas sans rappeler celle des Thibault de Roger Martin du Gard, dont les personnages m’avaient néanmoins bien plus touchée. Si j’ai aimé la plume de Kessel, la complexité des personnages et ce tableau saisissant d’une génération désenchantée, certains passages m’ont paru longs, et la noirceur, qui s’épaissit à mesure que l’on suit la chute inéluctable et toujours plus terrible de nos héros, est parfois étouffante.

Ma note 4 out of 5 stars (4 / 5)

Éditions Folio, 5 mars 1998, 680+864 pages 

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