
« Et tous ces regards de vaincus, ces dos courbés par la misère et la résignation, et ces poches toujours vides qui criaient la faim, grandes ouvertes comme les bouches hurlantes de leurs enfants mal nourris. Et pendant qu’il s’éloignait, c’était comme si les éternels discours de tous ces gens, des malheureux comme lui, résonnaient dans ses oreilles. Il les entendait parler du ciel et du soleil de leur pays natal, qu’ils avaient fui sans pouvoir s’en débarrasser et gardaient accroché à leurs épaules comme un parasite ou une malédiction. »
Bonsoir, New-York ! Hissez le torchon ! Voilà près de 950 pages que vous n’êtes pas près d’oublier !
Christmas Luminata grandit dans le New-York des années 20, au coeur de ces quartiers gangrenés par la pauvreté et les gangsters, où Italiens, Irlandais, Noirs et Juifs se disputent un territoire en croissance constante. New-York, c’était le début d’une nouvelle vie pour sa mère, Cetta, qui a quitté l’Italie à l’âge de quinze ans, son bébé né d’un viol sous le bras, pour leur offrir leur part du rêve américain. Son chemin sera semé d’embûches et d’humiliations, mais elle l’a décidé : Christmas sera américain, et il aura toutes les portes grandes ouvertes devant lui. Malmené par ses camarades, à treize ans Christmas fait plutôt l’école de la rue, se servant de son intelligence bien plus que de ses poings, multipliant les combines qui prêtent à sourire. Il crée son propre gang, les Diamond Dogs, avec son ami Santo, et entreprend de se tailler une réputation grâce à son bagou. Un jour il prête secours à Ruth, sauvagement agressée, et sa vie change. Entre eux c’est l’amour immédiat, mais irrémédiablement teinté de méfiance et de peur. La belle Ruth est riche, juive, habite les beaux quartiers, et surtout, elle est profondément traumatisée. Leur amour peut-il les sauver tous les deux ?
« Tu sais ce que c’est l’amour ? fit-elle. C’est réussir à voir ce que personne d’autre ne peut voir. Et laisser voir ce que tu ne voudrais faire voir à personne d’autre. »
Impossible de résumer un tel roman, dense, foisonnant, envoûtant. On passe du rire aux larmes, on s’attache instantanément à nos deux écorchés vifs que l’on voit évoluer avec les années, ainsi qu’aux personnages qui les entourent de leur bienveillance et de leur amitié, en espérant qu’ils retrouvent leur chemin vers la lumière et le bonheur. Dans ce fulgurant panorama du New-York des années 20 en pleine prohibition, l’atmosphère de la ville est palpable, ses odeurs, ses bruits, sa laideur entrecoupée de beauté pour qui sait regarder, tandis qu’on assiste à l’explosion de la radio et à la naissance de ce que sera le cinéma. Malgré leur lien unique, nos deux jeunes héros luttent avec leur amour impossible ; et tandis que Ruth, éloignée par ses parents, cherche le moyen de se reconstruire, Christmas ne rêve que de quitter ces quartiers où la mort rôde, hantés par le racisme, les terribles violences subies par les femmes, l’alcool et la drogue, ainsi qu’un désenchantement profondément enraciné. Et pourtant il s’y sent paradoxalement chez lui, enveloppé par cette solidarité inégalable qui lui permettra de tracer son chemin. Il y a du Dickens dans ce roman tour à tour infiniment violent et infiniment tendre, où alternent les coups les plus traîtres et la bonté la plus désintéressée. C’est le roman des rêves brisés, des secondes chances, et de la liberté.
« Parce qu’elle n’était pas née pour le bonheur, se dit-elle. Parce que le bonheur ressemblait de plus en plus à la violence. Ni l’un ni l’autre n’avaient de limites. Ni l’un ni l’autre n’avaient de périmètre, de clôture. Ils ne pouvaient survivre en captivité. Tous deux étaient sauvages. Des bêtes féroces. »
Ma note (5 / 5)
Éditions Pocket, traduit par Elsa Damien, 4 mai 2017, 954 pages
Merci, je cherchais justement des livres sur NY !