Le Château de Barbe Bleue – Javier Cercas

Dix ans ont passé depuis la fin d’Indépendance, et la fille de Melchor, notre ancien flic au grand coeur et à l’intégrité inébranlable, a maintenant dix-sept ans. Après une dispute avec son père, elle s’envole en compagnie de sa meilleure amie pour des vacances sur l’île de Majorque. Lorsque Melchor vient la chercher une semaine plus tard à l’arrivée du bus, son amie est seule, Cosette ayant décidé de ne pas rentrer tout de suite, afin de faire le point. Contrarié, Melchor devient rapidement inquiet, ne parvenant pas à obtenir de nouvelles de sa fille. Il est persuadé que quelque chose lui est arrivé, et s’apprête à aller la chercher lui-même.

« Soudain elle eut l’impression que tout ce qu’elle croyait savoir sur son père, en définitive, était faux, et que toutes les valeurs que son père avait incarnées jusqu’alors à ses yeux – les valeurs qu’elle associait depuis son enfance aux chevaliers à l’armure étincelante ou aux héros des romans d’aventures ou aux shérifs ou aux pistoleros des westerns – étaient toxiques, erronées. »

C’est évidemment un réel plaisir de voir aboutir cette trilogie policière de Javier Cercas, dont j’avais tant apprécié les deux premiers tomes. À nouveau, ce dernier roman est efficace, addictif, porté par un style presque cinématographique, accrochant le lecteur qui voit défiler les pages sans peine, et par un travail de documentation colossal. La première partie en particulier est haletante, avant de se transformer en quelque chose d’autre, d’une tonalité bien différente, et qui m’a moins convaincue. Je dois confesser une légère déception pour cet opus, bien moins riche et intéressant que les deux précédents, et surtout bien plus prévisible. Terra Alta combinait à la perfection une enquête policière réveillant les fantômes de la guerre civile espagnole et l’histoire de cet ancien taulard, orphelin rebelle converti par la lecture des Misérables, devenu policier afin de retrouver les assassins de sa mère. Indépendance s’inscrivait dans une veine plus politique, proposant une critique virulente de la corruption des élites catalanes, et creusant les relations de Melchor avec son entourage.

« Vous savez ce qu’on apprend avec l’âge ? Que tous les lieux communs sont vrais ou qu’ils contiennent une part importante de vérité.  Et que celui qui les méprise est un idiot. Dites-moi, combien de fois dans votre vie vous avez entendu dire que tout le monde a un prix ? »

Si ce dernier tome entreprend à nouveau de disséquer les travers de la société espagnole, en dénonçant l’impunité des puissants et interrogeant la notion du héros, il ressasse néanmoins beaucoup d’éléments des deux premiers pour les lecteurs qui auraient la mémoire courte, semble s’étirer en longueur et souffrir d’une intrigue un peu cousue de fil blanc, tout en surfant sur un thème à la mode, et ce pas toujours de manière habile. Je n’y ai pas retrouvé la même finesse que dans les deux premiers, et le personnage même perd de son épaisseur et de sa complexité. Il y a finalement très peu d’action jusqu’aux dernières pages qui se déroulent quant à elles bien trop rapidement, et l’émotion m’a manqué. Par ailleurs, il m’a semblé que ce bond dans le temps, puisque l’action est censée se dérouler en 2035, n’était pas très judicieux, sa simple justification se trouvant dans l’opportunité de faire de Cosette un personnage suffisamment âgé pour qu’elle se trouve au centre de l’intrigue, ou presque.

Un roman terriblement attendu, et finalement je suis déçue d’être déçue, tant j’étais préparée à être emportée. Si je suis un peu passée à côté du Château de Barbe Bleu, je n’en estime pas moins l’immense talent du romancier espagnol dont j’aurai toujours autant hâte de découvrir les nouveaux écrits.

Ma note 3 out of 5 stars (3 / 5)

Éditions Actes Sud, traduit par Aleksandar Grujicic et Karine Louesdon, 5 avril 2023, 352 pages

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