
De garde au commissariat de Gandesa, le jeune policier Melchor Marin est le premier à être appelé au petit matin sur une scène de crime insoutenable : un couple de personnes âgées vient d’être assassiné, après avoir été monstrueusement torturé. L’homme est le patron de la plus grande entreprise de Terra Alta, et le patriarche de la plus riche famille de la région, source de nombreux emplois mais également de beaucoup de jalousie et de ressentiment. Depuis quatre ans que Melchor est arrivé dans cette région catalane où les principaux sujets de conversations tournent encore autour de la terrible bataille de l’Èbre, célèbre pour être la dernière grande bataille qui précipita la défaite républicaine en 1938, c’est la première fois qu’un fait divers aussi sordide se produit.
« Ici, c’est une terre inhospitalière, très pauvre. Elle l’a toujours été. Une terre de passage où ne restent que les gens qui n’ont d’autre solution que de rester, ceux qui n’ont aucun autre endroit où aller. Une terre de perdants. »
Tandis qu’il se jette à corps perdu dans l’enquête, le récit revient également sur son propre passé énigmatique. Ancien repris de justice, transformé par la lecture des Misérables de Victor Hugo ainsi que par le meurtre non élucidé de sa mère, prostituée dans les bas-fonds de Barcelone, il s’est résolu, entre les quatre murs de sa prison, à changer de vie. Au lieu de se contenter d’être Jean Valjean, il sera Javert. Après un acte héroïque durant les attentats islamistes de Barcelone, il est finalement muté en rase campagne pour assurer sa sécurité : ce sera la Terra Alta, et le début d’une nouvelle vie.
« Les vraies blessures (…) ce sont celles que personne ne voit. Celles que les gens conservent secrètement. Ce sont elles qui expliquent tout mais, de celles-ci, personne n’en parle. »
Voilà un très bon roman policier, sombre, avec une épaisseur psychologique remarquable et de très beaux passages sur la puissance évocatrice de la littérature. L’intrigue ne surprend pas véritablement, mais se révèle très efficace, et surtout rend Melchor extraordinairement attachant, agrémentant ce qui ressemblait à une simple enquête d’une densité et d’une profondeur considérables. Histoire de vengeance, de rédemption, et de ce que les hommes désignent comme la réelle justice, le roman entremêle le présent et un passé dont les cicatrices sont toujours à vif, dans une Catalogne portant encore, des décennies plus tard, les stigmates des crimes perpétrés au nom de la Guerre civile.
« La justice absolue peut être la plus absolue des injustices. »
Chez Cercas en effet, l’Histoire de l’Espagne n’est jamais loin, et l’on retrouve toujours dans ses romans la Guerre civile, ses méandres complexes, et un inextricable héritage encore lourd à porter pour la société contemporaine. Bien que cela puisse surprendre de prime abord, le romancier espagnol s’inscrit ici dans un nouveau registre, et prouve qu’il peut également manier les codes du polar à la perfection. Il ne reste plus qu’à se plonger sans délai dans le second opus de ce qui est annoncé comme une trilogie, Indépendance.
Ma note (4,5 / 5)
Éditions Actes Sud, traduit par Aleksandar Grujicic et Karine Louesdon, mai 2021, 320 pages