
« Prenez garde aux chiens enragés qui rôdent, car rôdant, ils mordront. Et mordant, ils mordront encore. »
Nous sommes dans les années 1930, et deux frères jumeaux de treize ans s’apprêtent à vivre un nouvel été caniculaire dans leur grande demeure familiale du Connecticut. Ils ont toujours été proches, fusionnels presque, malgré leurs différences : Niles est doux et rêveur, sensible et généreux, tandis que Holland est colérique, violent, insolent et imprévisible. Mais quelque chose s’est passé, et semble avoir mis à mal leur relation. Holland est en effet devenu plus distant, secret, disparaissant des heures entières et échafaudant de sombres projets. Depuis la mort de leur père, le temps semble s’être figé, et la famille tente de resserrer les liens autour de leur mère qui a sombré dans le désespoir et ne quitte plus sa chambre. Tandis que leur oncle et tante sont venus offrir leur secours en venant habiter à demeure, que leur grande soeur tente de se concentrer sur l’espoir de la naissance imminente de son premier enfant, leur grand-mère, Ada, s’efforce d’apporter douceur et compréhension. Mais le temps d’un été, les changements opérés chez les deux frères vont se révéler au grand jour, et l’engrenage des événements se dérouler d’une manière inexorable.
« Des jumeaux ? Malgré des dates de naissance différentes ? Très bizarre.
En effet, mais c’étaient de vrais jumeaux. Oh ! oui, leurs signes se chevauchaient, pour ainsi dire. Néanmoins cette différence ! Holland, un Poisson, insaisissable, tantôt ceci, tantôt cela, Niles, un Bélier, fonçant allègrement sur les obstacles. Ils grandissaient côte à côte, mais non pas ensemble, cependant. Étrange. »
Publié en 1971, ce roman dérange et fascine dans le même temps, jouant sur l’altérité et les relations troubles entre deux jumeaux qui semblent deux faces d’une même pièce. Ils communiquent de manière presque télépathique, puisant l’un dans l’autre la source de leurs comportements. Même si je dois avouer avoir pressenti ce qui se jouait assez rapidement, cela n’a pas émoussé mon intérêt pour cette lecture étrange sur l’enfance et le mal, qui m’a séduite par sa richesse et sa complexité psychologique. En dehors de l’histoire qui en elle-même est déjà prenante, le récit dévoile une myriade de détails parfois insoupçonnables, révélant la maitrise totale de l’auteur d’un bout à l’autre. Jeux de rôle, prémonitions, tours de passe-passe, contes enfantins et superstitions… Réalité et apparence s’entremêlent, tandis que le narrateur lui-même joue avec nos nerfs et nous fait douter de sa fiabilité, abreuvant le lecteur d’indices cryptiques et de méandres poétiques déconcertants, jusqu’à une fin proprement glaçante.
« Encore ce sourire étrange ! Quelle était donc cette chose qui amusait tant Holland depuis une semaine, et même avant ? Qu’est-ce que c’est ? Raconte. Explique-moi. Non, tu ne veux pas – tu ne le fais jamais, ne l’as jamais fait, ne le feras jamais. Ce n’était pas juste. Ils venaient de la même cellule, avaient vécu neuf mois pelotonnés l’un contre l’autre. Ils auraient dû savoir déjà mutuellement leurs secrets. »
Dans le bourdonnement faussement tranquille d’un été ensoleillé et familial, les drames se nouent, l’inquiétude grandit, et le malaise s’installe, pour laisser la place à un thriller psychologique implacable, un vrai classique du genre, dans la droite lignée des romans de Shirley Jackson.
Ma note (4,5 / 5)
Éditions du Typhon, traduit par Sarah Londin, 6 avril 2023, 316 pages