
« Tant que dure le repentir dure la faute. »
Plusieurs années après le dénouement opéré dans le premier roman de cette trilogie, Terra Alta, on retrouve Melchor Marin, ce policier au passé compliqué, vouant une passion sans bornes aux Misérables de Victor Hugo. Il s’interroge sur son avenir et envisage de devenir bibliothécaire, estimant avoir fermé une porte sur les raisons qui l’ont poussé à entrer dans les forces de l’ordre. Appelé en renfort dans une nouvelle enquête, il quitte momentanément sa terre d’adoption, la Terra Alta, pour rejoindre Barcelone, s’installant chez Vivales, l’avocat qui l’avait aidé dans sa jeunesse et qui fait office de figure paternelle. Au sein de l’unité centrale des enlèvements et extorsions, et aux côtés d’anciens collègues, Melchor va devoir plonger dans une affaire délicate. Cette fois, il ne s’agit pas d’un meurtre mais d’une tentative de chantage, visant la maire de Barcelone, menacée de la diffusion d’une video compromettante. Reste à savoir s’il s’agit réellement d’extorsion économique ou bien d’une manoeuvre politique…
« L’échec espagnol est comme ça : un échec sérieux, sale et sans gloire, un échec sans rédemption. »
Si l’enquête en elle-même a moins de rebondissements et de méandres inattendus que dans le premier opus, j’ai trouvé très intéressant ce cadre plus politique. Là où Terra Alta interrogeait le poids de la Guerre civile, ce roman plonge cette fois au coeur d’une Catalogne toujours frémissante sur le sujet de l’indépendance, et qui n’échappe pas aux vices d’une classe privilégiée où règnent tyrannie et entre-soi. Sur fond de lutte des classes opposant des fils à papa au-dessus des lois et prêts à tout pour conserver leur position, aux bas-fonds de Barcelone grouillant de malfrats et de junkies désespérant de flairer enfin le bon coup qui leur permettra de renverser le destin, c’est tout un système qui est visé, dominé par l’argent et la soif de pouvoir, n’hésitant pas à écraser tous ceux qui tenteraient de s’y faire une petite place. Le ton est incisif, au service d’une critique virulente des élites politiques rongées par la corruption et les manipulations populistes, et d’une réflexion sur la démocratie et le régionalisme.
« L’argent, c’est une chose magique, une chose immortelle et transcendante. L’argent, c’est dément. C’est quelque chose de bien plus fort que le pouvoir, parce que le pouvoir en dépend. En plus, l’argent survit à tout, y compris lorsque le pouvoir change de mains. »
Terra Alta se révélait sans doute plus poignant, mettant en son centre les tourments du héros et le poids de son passé, mais pour autant aucune déception avec cette suite qui, par le biais du polar, entreprend à nouveau de disséquer les rouages de l’Espagne contemporaine. Les personnages sont dotés d’une épaisseur psychologique rare, et la narration est particulièrement réussie, insufflant un rythme aussi déstabilisant que fascinant. Pour finir, j’ai adoré le clin d’oeil de Cercas, qui fait de son roman précédent un élément de l’intrigue, dans une mise en abîme jubilatoire, rappelant également le pouvoir rédempteur des romans, qui « ne servent à rien, sauf à nous sauver la vie. »
Ma note (4,5 / 5)
Éditions Actes Sud, traduit par Aleksandar Grujicic et Karine Louesdon, mai 2022, 352 pages
J’aime tout particulièrement cet auteur dont les deux derniers livres ont déjà pris place sur ma pal. Au début, je pensais attendre la fin de la trilogie. Mais je ne sais pas, à te lire, si j’aurais cette patience… Et puis, un grand écrivain de cette trempe s’aventurant dans genre codifié du polar, ce n’est pas une chose si fréquente. Je suis curieux de découvrir à mon tour ce Melchior Marin.
Du retard dans mon commentaire mais je lis tellement que je prends du retard dans les (rares) blogs littéraires que je suis, comme le tien. Je n’avais pas lu le tome 1 mais cela ne m’a pas du tout dérangé car Javier Cercas rappelle pas mal de choses. Qu’est-ce que j’ai été enthousiasmé par ce livre ! Un des meilleurs que j’ai lus en 2022. La Catalogne nous parle beaucoup, nous « Belges », car la Flandre rêve, comme elle, d’indépendance (respectivement donc Espagne et Belgique) et un homme politique cité dans le livre s’est même réfugié à Anvers il n’y a pas si longtemps. Mais cela n’aurait pas suffi à justifier mon emballement pour ce livre : écriture remarquable sans être compliquée, excellente traduction, mélange chez l’auteur d’engagement, de multiples passions (dont la cuisine) et d’humour : bref un livre comme il s’en édite/ comme j’en lis trop peu.
Ravie qu’il t’ait plu ! Je suis d’accord, c’est vraiment un roman subtil sur la question catalane, même s’il a déplu pour cette raison, et un mélange des genres très réussi ! En effet ce n’est pas gênant de lire le deuxième sans avoir lu le premier au préalable, néanmoins si tu décides de lire le premier, il n’y aura plus de surprises quand à certains fils de l’intrigue…