Seule en sa demeure – Cécile Coulon

« Le domaine Marchère lui apparaîtrait nettement, comme un paysage après la brume. Une fois le brouillard des sapins levé sur la colline, Aimée retiendrait dans sa gorge un hoquet de surprise : jamais elle n’aurait vu un lieu pareil, jamais elle n’aurait pensé y vivre. »

Fin XIXe siècle dans le Jura. La jeune Aimée épouse sur les conseils de ses parents un gentilhomme de la région, Candre Marchère. Un exploitant forestier prospère, qui n’a connu qu’une vie de deuils puisque sa mère est tragiquement décédée lorsqu’il était enfant, et qu’il est veuf à vingt-six ans, sa première épouse ayant été emportée six mois à peine après leur mariage. C’est un homme qui semble doux, patient et attentif, profondément religieux, d’une placidité qui contraste avec l’immense loyauté que lui vouent ses hommes, rudes et brutaux. Alors qu’Aimée découvre sa nouvelle maison, elle s’étonne des rapports de force instaurés sous son toit, s’interroge sur Hemia, la domestique ayant fait office de figure maternelle et qui assiste à toutes les réunions de travail, ainsi que sur le fils de cette dernière, le beau Angelin, qui se tient systématiquement dans l’ombre.

« En y pensant, elle comprit ce qui se cachait derrière la posture impeccable de son mari : il n’était pas homme de coups, de scandale ou d’éclat, mais il était maître des lieux, maître du corps des autres. Il désignait, choisissait, détruisait, en un seul geste. Il exerçait sur ses sujets une terreur antique »

S’inscrivant dans la lignée du magistral Rebecca de Daphné du Maurier, ou encore du Château des Bois-Noirs de Robert Margerit, le récit réunit tous les éléments du roman gothique : une jeune fille naïve, protégée toute son enfance et totalement inconsciente des choses de l’amour au moment du mariage ; une grande demeure inquiétante perdue dans des bois sombres ; un mari taiseux qui cache de nombreux secrets ; le fantôme d’une première épouse ; une domestique prête à tout pour son maître et dont la fiabilité est par conséquent incertaine.  En cela, c’est un exercice réussi qui remplit toutes ses promesses, tout en apportant une touche de modernité. La plume est belle, l’atmosphère se déploie dès les premières pages, captivant le lecteur, et les personnages secondaires sont soignés, tel le cousin Claude, la professeure de flûte Emeline ou encore le muet Angelin. Tandis qu’Aimée connait dans sa nouvelle demeure un éveil des sens troublant, certains événements l’inquiètent de plus en plus, l’amenant à enquêter sur le passé à l’insu de son mari dont le comportement, entre froideur et considération, la déconcerte.

« Pourtant, un doute persistait. À peine un frôlement. Mais elle le sentait en elle, quand la maison se taisait, que les arbres murmuraient, à la fenêtre. Elle entendait, dans cette discussion hors des hommes, une parole autre, du passé, elle en frissonnait et sa confiance s’évanouissait. Une pièce du puzzle manquait. »

Un huis clos pesant qui rappelle le sort des femmes de l’époque, y compris lorsqu’elles étaient de « bonne famille », emprisonnées dans le mariage avec peu de ressources à leur disposition pour poser des questions et remettre en cause le système établi. Si la lecture est prenante, je confesse ma déception concernant le dénouement, qui laisse de nombreux fils de l’intrigue en suspens, et ne fait pas honneur à la complexité potentielle des personnages.

Ma note 3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)

Éditions Collection Proche, 12 janvier 2023, 240 pages

2 commentaires sur “Seule en sa demeure – Cécile Coulon

  1. Dommage que le dénouement est décevant car ça aurait pu davantage m’attirer vu que c’est dans la la lignée de Rebecca. Du coup, je vais passer mon tour… j’ai tellement à lire.

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