
Après Dans la baie fauve, un roman atypique qui m’avait énormément intriguée, j’avais hâte de retrouver la plume de Sara Baume dans ce nouveau roman. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la romancière irlandaise manie la noirceur à la perfection, et a le don de saisir des personnages en rupture avec la société.
Frankie est une jeune artiste d’une vingtaine d’années, qui a brutalement quitté Dublin, son travail et ses amis pour s’enfermer dans la maison à la campagne de sa grand-mère, décédée il y a trois ans. On la sent fragile, mais les mots ne sont jamais posés : dépression, burn out, traumatisme…? L’important n’est pas là, mais dans ce lent cheminement de Frankie pour laisser s’écouler les journées en se raccrochant à un semblant de normalité et en donnant le change à sa mère inquiète. Comme dans le premier roman, rien n’est noir ou blanc chez Sara Baume, tout est suggéré, bonheur ou menace, et le lecteur peut laisser libre court à son imagination quant à ce qui est arrivé à Frankie pour qu’elle en arrive à se retirer du monde et à vivre ainsi, allongée sur la moquette de la chambre de sa grand-mère ou bien capturant avec son appareil photo la moindre créature morte qu’elle croise sur son chemin.
Si le ton n’est pas gai, j’ai trouvé cette immersion dans cette période de la vie de la jeune fille extrêmement prégnante et réaliste. Solitaire, elle n’a jamais totalement réussi à se fondre dans le moule imposé par la société, et se trouve à présent dépassée par les événements, incertaine quant au sens de sa vie, s’interrogeant sur la mort, sur le temps qui passe, sur sa famille, sur ses souvenirs, sur la relation de l’Homme à la nature, sur les relations sociales aussi, dont elle peine à comprendre les codes. On suit ses efforts, sa volonté de ne pas laisser son esprit s’étioler totalement, s’obligeant régulièrement à tester ses connaissances artistiques sur tout thème qui lui viendrait à l’esprit. Avec pour toile de fond l’Irlande rurale, Frankie cherche des réponses et une forme de guérison, d’apaisement.
Un roman extraordinairement réussi, tout en délicatesse, sur la maladie mentale et la difficulté à reprendre pied auprès des autres. Inutile de chercher une quelconque intrigue, même si le récit soulève des questionnements, il s’agit ici bien davantage d’une longue méditation, introspective et intime, d’une jeune femme comme tant d’autres, perdue et sondant son esprit fragile.
Ma note (4 / 5)
Éditions Noir sur Blanc, traduit par France Camus-Pichon, 5 janvier 2023, 368 pages
Merci pour la découverte, ça pourrait me plaire 🙂