
Dans l’oeuvre de la grande Elizabeth Gaskell, voici un petit roman d’apprentissage charmant et mélancolique.
Le jeune Paul, dix-sept ans, vient d’être embauché auprès d’un ingénieur chargé de construire une ligne de chemin de fer reliant de petites bourgades rurales. C’est la première fois qu’il quitte son foyer et qu’il vit seul, et son nouveau sentiment de liberté se mêle de solitude et de l’embarras des devoirs à accomplir auprès de l’ecclésiastique du coin ou des deux vieilles filles qui lui offrent le couvert. Heureusement il a beaucoup d’admiration pour son patron, Holdsworth, qui à tout juste vingt-cinq ans, impressionne par son expérience, sa position sociale et ses récits de voyage. Alors que ses parents lui demandent d’aller se présenter chez une cousine éloignée, Paul, d’abord réticent, est surpris par le bon accueil qui lui est fait, et s’attache immédiatement à la famille, en particulier Mr Holman, ministre du culte le week-end, agriculteur la semaine, qui le traite comme un fils. Quant à sa jeune cousine Phillis, s’il s’éprend de ses beaux yeux, elle l’intimide par ses connaissances et la profondeur de ses réflexions. Son quotidien, émaillé ainsi de fréquentes visites chez les Holman, devient rapidement plus gai. Lorsqu’il décide de leur présenter son héros, Mr Holdsworth, il bouleversera à jamais l’existence tranquille de la famille…
« Ma cousine Phillis ressemblait à une rose qui se serait pleinement épanouie du côté ensoleillé d’une demeure solitaire, à l’abri des orages. »
S’il ne faut pas attendre de ce court roman tout le romanesque, la profondeur psychologique, et la critique sociale déployés dans ses autres romans comme Nord et Sud, Femmes et filles, ou Les Amoureux de Sylvia, Elizabeth Gaskell nous offre avec Ma cousine Phillis l’instantané d’une époque. Tout d’abord celle de l’adolescence, ce passage délicat de l’enfance à l’âge adulte qui échappe bien souvent aux parents, et qui s’accompagne invariablement de chagrins inconsolables, mais aussi des charmes du premier amour. Il est intéressant de noter que la romancière s’est dotée cette fois d’un narrateur masculin, gauche et naïf, dont les hésitations et les troubles ne seront ainsi jamais cachés au lecteur, tandis qu’il peine à comprendre l’émoi d’une femme. Il s’agit également bien entendu d’un instantané de l’Angleterre, à mi-chemin entre la ruralité et l’industrialisation avec l’irruption du chemin de fer dans la campagne anglaise et les bouleversements subséquents pour les modes de vie des paysans. Une Angleterre qui se montre par ailleurs encore bien injuste envers les femmes, comme le symbolise le sort de Phillis, cette jeune fille intelligente et avide de savoir, des qualités bien peu attrayantes pour un potentiel prétendant qui pourrait souffrir d’un tel ascendant dans une société où l’on valorise l’admiration de la femme envers son époux.
« C’est à tout prendre, une leçon fort profitable que d’essayer de choisir ses mots pour exprimer ce que l’on pense vraiment, plutôt que de simplement chercher à faire son effet sur ceux qui vous écoutent. »
Un récit pastoral tout en délicatesse, qui foisonne par ailleurs de réflexions sur la culpabilité, le puritanisme, les liens familiaux ou encore l’ascension sociale, et dans lequel Elizabeth Gaskell nous offre à nouveau une touchante héroïne romantique.
Ma note (4 / 5)
Éditions de l’Herne, traduit par Béatrice Vierne, 1er janvier 2012, 144 pages
Une autrice que j’ai envie de découvrir dans un premier temps avec « Nord et Sud » 🙂
Bonne journée !