Sans nom – William Wilkie Collins

« Rien en ce monde ne demeure caché à jamais. L’or, qui durant des siècles a dormi sous nos pieds, se révèle un beau jour et vient affleurer le sol. Le sable perfide trahit l’empreinte du pied qui s’est posé sur lui ; l’eau renvoie à sa surface le cadavre qu’elle a reçu dans ses plus secrètes profondeurs. Le feu lui-même, dans ses cendres quelquefois indiscrètes, confesse la substance qu’il a dévorée. La haine emprisonnée dans le coeur se révèle par le regard, et l’amour sait découvrir, sous le baiser de Judas, la trahison que masque ce baiser. De quelque côté que vous regardiez, vous verrez que la révélation est inscrite dans les lois de la nature ; la conservation durable d’un secret est un miracle que le monde n’a encore jamais connu. »

Dans le Somerset, deux soeurs vivent dans le plus parfait bonheur en compagnie de leurs parents et de leur gouvernante Miss Garth. Les deux soeurs s’inscrivent dans les plus parfaits stéréotypes de la littérature de l’époque : Norah, l’ainée, est posée, sage, si réservée qu’elle en est presque froide, tandis que la cadette Magdalen, dix-huit ans à peine, ne contient pas son tempérament emporté et volcanique, et laisse se déchainer ses passions, que ce soit celle pour le théâtre ou bien celle pour le jeune voisin d’à côté auquel elle se fiance.

Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’à un premier incident, sous la forme d’une lettre venue d’Amérique, qui va précipiter le cours inexorable des événements. En quelques mois à peine les deux soeurs perdent leurs parents, demeurant orphelines, et surtout privées de leur héritage en faveur d’un oncle inconnu. En effet, leurs parents n’étaient pas mariés au moment de leur conception, faisant d’elles des enfants illégitimes. Malgré les efforts de leur avocat, de Miss Garth, et des deux jeunes filles elles-mêmes pour en appeler à l’empathie du vieux grincheux, rien n’est fait en leur faveur et les voilà ruinées du jour au lendemain, humiliées, et contraintes de trouver de quoi gagner leur vie. Si l’espoir renaît à la mort de cet oncle rancunier, il est vite étouffé par l’avarice évidente de son unique fils, faible d’esprit et malade,  ainsi que par la malveillance de sa femme de charge, passée experte dans l’art de manipuler son maître.

« Les souvenirs du passé, quand elle essaya de se les rappeler, ne servaient qu’à la faire souffrir. L’avenir, quand elle essaya de le sonder, ne lui offrait qu’un vide peuplé de ténèbres. Elle se releva et, debout près de la croisée sans rideaux, se tint, regardant au-dehors, comme si dans la nuit désolée elle trouvait quelque sympathie pour sa propre désolation. »

Dès lors, les chemins des deux soeurs se séparent. Norah décide de supporter dignement son sort et s’engage comme gouvernante, tandis que Margaret disparait du jour au lendemain, déterminée à récupérer ce qui leur est dû, quel qu’en soit le prix, et peu important les moyens déployés. Vengeance ou justice ? Au lecteur de trancher…

Grande amatrice des romans de Wilkie Collins, qui est tenu pour l’inventeur du roman policier moderne, Sans nom, prétendument le préféré de son ami Dickensm’a paru décevant au regard du reste de l’oeuvre du romancier victorien. Pour commencer, il m’a semblé que la forme du feuilleton fonctionnait moins bien cette fois, il y avait beaucoup de longueurs, malgré l’alternance habituel chez Wilkie Collins des modes de narration, et l’ennui n’était pas loin. Par ailleurs, l’intrigue même est redondante, alors qu’on devine bien vite les plans de Magdalen, qui du reste est un personnage assez pénible. J’ai eu du mal à suivre ses décisions, et j’aurais préféré que l’histoire ne soit pas aussi centrée sur une seule des soeurs, afin d’étoffer un peu la psychologie du roman. On en sait fort peu, ou alors par des moyens détournés, à propos des réactions de Norah, de sa façon de vivre l’injustice de leur condition, de ses rencontres. Il aurait été intéressant de suivre les deux destins à partir de leur séparation, plutôt que se contenter uniquement de celui de l’aventureuse Magdalen. Heureusement, cette dernière s’adjoint les services d’un escroc pour fomenter ses complots, le capitaine Wragge, un personnage complexe et si haut en couleurs qu’il redonne parfois à lui seul tout son sel aux rebondissements.

« Ma chère enfant, d’après votre exposé même, ce n’est pas d’un homme estimable que vous aurez besoin dans la situation où vous vous êtes mise, c’est d’une crapule comme moi. »

Un roman atypique, qui aborde des problématiques audacieuses pour l’époque, mais qui ne se hisse pas selon moi au niveau de La Dame en blanc, de Pierre de Lune ou bien de L’Hôtel hanté, et qui m’aurait sans doute bien davantage séduite avec quelques coupes salutaires.

Ma note 3 out of 5 stars (3 / 5)

Éditions Libretto, traduit par Paul-Émile Daurand-Forgues, 28 mai 1999, 832 pages

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2 commentaires sur “Sans nom – William Wilkie Collins

  1. Le résumé était tentant dommage.. sinon, je compte découvrir un jour l’auteur avec « Pierre de Lune » 😉
    Bonne journée !

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