La Bienfaitrice – Elizabeth von Arnim

Résumé :

Plus curieuse de philosophie que de mondanités, Anna Escourt est lasse d’être traînée de bals en soirées par Suzy, son encombrante belle-soeur. Fille d’un riche épicier, cupide et arriviste, celle-ci ne lui laisse pas un instant oublier combien elle lui est redevable… La lettre d’un vieil oncle renverse la situation : à vingt-cinq ans, Anna hérite d’un grand domaine en Allemagne, dont les revenus l’autorisent à faire fi des convenances en restant célibataire. Pétrie d’idées modernes, elle se propose d’offrir un toit aux femmes sans ressource de sa nouvelle contrée. Louable philanthropie, dont elle ne tardera pas à éprouver les inconvénients… D’autant qu’un de ses visiteurs les plus assidus est le séduisant Axel von Lohm, jeune aristocrate désargenté. L’oncle Joachim avait-il quelque arrière-pensée ?

« Ne me parle pas d’indépendance. De tels mots ne sont pas faits pour la bouche d’une jeune fille. C’est la fierté d’une femme de se tenir près d’un bon mari. C’est sa joie d’être entourée et protégée par lui. Hors du cercle proche de son foyer, il n’y a pas de bonheur pour elle. Les femmes qui ne se marient jamais ratent tout cela. »

Mon avis :

Elizabeth von Arnim ne cesse de me surprendre et de me séduire. On retrouve chez cette écrivaine qui appartient à la toute fin de l’époque victorienne, les éléments caractéristiques de la littérature de cette époque, avec un soupçon de modernité en plus. J’avais adoré déjà Avril enchanté, ainsi que Vera bien que mon ressenti avait été tempéré par une inévitable comparaison de ce roman avec Rebecca (pourtant postérieur…). La Bienfaitrice, paru en 1901, reprend certains des thèmes fétiches de la romancière, à commencer par celui de la condition féminine, et, ajouté au style et à l’ironie mordante d’Elizabeth von Arnim, c’est un grand coup de coeur.

On a tout de suite de la sympathie pour Anna Estcourt, une jeune fille qui se retrouve du jour au lendemain, à 25 ans, propriétaire d’un domaine en Allemagne. Jusqu’ici elle vivait aux crochets de son frère, ou plutôt de son épouse, Susie, qui a apporté la fortune au mariage si ce n’est la beauté et un bon tempérament. La belle-soeur est en effet quelque peu exécrable, faisant perpétuellement ressentir à Anna le poids qu’elle représente, et la poussant sans ménagements à accepter n’importe quel parti qui pourrait se présenter et la faire quitter le domicile familial. Mais voilà, Anna a des velléités d’indépendance, et résiste à la pensée majoritaire de l’époque qui voudrait qu’une femme ne soit complète qu’avec un mari. Elle pressent que l’important n’est pas là, mais dans la possibilité de tirer tous les profits de la vie et d’atteindre le bonheur. L’héritage qu’elle reçoit de son oncle est donc une véritable aubaine. Elle décide de s’installer, seule, dans son nouveau domaine de la campagne allemande, et d’en faire un endroit destiné à accueillir des femmes, du même milieu qu’elle mais qui se sont, pour une raison ou une autre, retrouvées sans aucune ressource. La douce Anna va immédiatement se heurter aux préjugés de ses nouveaux voisins, certes obséquieux devant leur nouvelle maitresse, mais toujours hypocrites. Et elle se rendra compte rapidement, après avoir accueilli ses premières pensionnaires, que sa louable entreprise ne tenait pas compte des travers de la nature humaine. C’est donc un véritable parcours initiatique pour cette jeune femme qui va se trouver confrontée à la vie et à ses tourments, et qui va réaliser que l’important n’est pas de rechercher le bonheur, mais de faire preuve de courage. Désolante mais ô combien incontestable révélation…

« Plus tard, se rappelant ces larmes et tous les jours passés, il lui sembla que c’étaient les derniers moments d’un long sommeil – le sommeil de l’enfance – perturbé par des rêves fous, mais des rêves seulement. Elle se réveilla le lendemain et resta éveillée pour le restant de ses jours. »

J’ai tout aimé dans ce roman. La personnalité de l’héroïne bien sûr, généreuse, gaie, résolument moderne, et qui, si elle fait preuve d’innocence quand aux conséquences de sa charité mal placée, n’est jamais ni complètement naïve ni totalement dupe. Elle est touchante dans son désir de s’affranchir des carcans et d’atteindre une « vie meilleure » en faisant profiter de son domaine à plus malheureux qu’elle. Le style d’Elizabeth von Arnim, ensuite, n’est plus à louer : c’est merveilleusement écrit, avec beaucoup de finesse psychologique et d’humour. Un humour qui pointe du doigt la misogynie de l’époque, incarnée par la quasi-totalité des hommes, et même des femmes, de ce roman. La femme n’est qu’un accessoire, un matériau brute que l’homme doit façonner, et surtout, elle reste toujours l’inférieure de l’homme, y compris lorsqu’elle appartient à une classe sociale supérieure. Ce serait tragique si on ne sentait pas la critique acerbe de la romancière. Même le généreux oncle, qui permet à Anna de s’échapper de sa prison dorée londonienne en la rendant financièrement indépendante, a une idée derrière la tête : un mariage éventuel avec son séduisant et secourable voisin, Axel von Lohm, qui est sans doute le seul personnage masculin qui trouvera grâce aux yeux du lecteur… Il faut dire que la galerie de personnages est époustouflante et j’ai adoré les détester, à commencer par les trois pensionnaires d’Anna qui vont venir ajouter un sacré piquant à l’histoire. Enfin, ce roman est aussi une formidable ode à la nature, avec de magnifiques descriptions de la campagne environnante, lieu nécessaire à l’épanouissement personnel.

« Un sentiment de bonheur envahit son coeur, une soudaine et irrésistible joie aux choses communes que sont la terre, le ciel, le soleil et le vent. Que cette brise, ces parfums, ces murmures étaient doux, rafraichissants, exquis ! Comment avait-elle pu respirer ailleurs que dans l’atmosphère vivifiante de la mer et de la forêt ? »

Si Elizabeth von Arnim nous offre une héroïne qui fait preuve de beaucoup de modernité, elle ne se fait pas d’illusions sur le succès d’une telle indépendance. Anna verra vite les inconvénients à se retrouver seule pour affronter la vie, et cédera à plusieurs reprises au découragement. On comprend l’omniprésence de ces thématiques chez Elizabeth von Arnim, qui, à l’image d’Anna, était décidée à se moquer des conventions sociales et qui se retrouvera malgré tout dans un mariage malheureux avec un comte prussien violent et dominateur. La part d’autobiographie peut difficilement être niée dans ce roman, qui reflète les tiraillements de l’auteure entre indépendance et soumission féminine.

Ma note 5 out of 5 stars (5 / 5)

 

 

 

Éditions de l’Archipel, traduit par Marguerite de Vaudreuil et révisé par Géraldine Barbe, mai 2013, 391 pages

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