
Résumé :
Quand Rosa découvre le journal de Marie Curie, commencé à la mort de Pierre son époux, les mots font écho à son propre deuil. Au-delà des époques, les deux femmes vivent la même douleur inextricable face à la perte inconcevable. Leurs voix se mêlent pour raconter la reconstruction. Car la vie est si puissante que dès les premiers moments de la peine elle vous permet de savourer des instants de joie.
« Mais comment est-il possible qu’il ne soit pas là ? Cette personne qui occupait tant d’espace dans le monde, où est-elle passée ? »
Mon avis :
Je parle assez peu d’auteurs espagnols sur ce blog, en partie parce que je les ai beaucoup lus plus jeune. Rosa Montero fait partie de ces écrivains qui me paraissent très familiers, mais je ne connaissais toujours pas ce livre, sans doute le plus intime de tous et dont le sujet, qui s’annonçait un peu morose, ne m’avait pas attirée tout de suite.
J’ai accroché dès la première ligne, magnétisée par le style de l’auteure et par la démarche de ce livre, qui n’est au fond ni une biographie de Marie Curie, ni une autobiographie de Rosa Montero. Trois ans après le décès de son mari Pablo, l’écrivaine trouve, un peu par hasard, un écho à son deuil dans le journal de la célèbre scientifique. Comme Marie Curie, qui a commencé à tenir un journal à la mort de son époux, Pierre, et y a consigné ses pensées et ses souvenirs pendant un an, Rosa Montero éprouve le besoin de raconter son deuil, de le graver sinon dans le marbre, du moins sur le papier. Tout au long de ses pages, en s’appuyant sur la vie incroyable de Marie Curie, elle va donc projeter sa propre histoire, ses propres tourments. Le résultat c’est un livre passionnant et érudit car truffé de références historiques, littéraires et scientifiques, mais aussi et surtout un livre sublime sur le deuil, la vieillesse, le couple, la condition féminine, le travail d’écrivain, les petits miracles et coïncidences de la vie.
« Jamais, toujours, des mots absolus que nous ne pouvons pas comprendre, nous qui sommes des petites créatures piégées dans notre petit temps. »
Avant de se plonger dans son couple et son deuil, c’est Marie elle-même qui est racontée : son enfance, ses aspirations, son intelligence, ses souffrances, son départ de la Pologne natale… L’auteure cherche à percer la carapace de cette femme si méconnue en dépit de ses deux prix Nobel, et revient sur son parcours incroyable malgré tous les préjugés sexistes de l’époque. En entrecroisant leurs deux destins de femmes, à deux époques différentes, Rosa Montero nous livre ses réflexions percutantes et mordantes, s’autorisant parfois des digressions qui ne font que rendre son récit plus vivant. Elle s’aperçoit que cette femme hors du commun, qui lui parait si éloignée d’elle, lui est extraordinairement proche par cette souffrance qui rejoint la sienne, et elle s’interroge sur l’impossible deuil, sur l’inconsolable perte, sur la vie après l’être aimé. Au final, du propre aveu de l’auteur, Pablo est très peu présent dans ces pages. Ce livre est le moyen qu’a trouvé Rosa Montero, inspirée par Marie Curie, de canaliser son chagrin, de guérir par les mots.
« Il faut faire quelque chose avec tout ça pour que ça ne nous détruise pas, avec ce grondement de désespoir, avec ce gâchis interminable, avec ce furieux mal de vivre quand la vie est cruelle. Les êtres humains se défendent de la douleur insensée en l’ornant de la sagesse de la beauté. Nous écrasons du charbon à mains nues et nous réussissons parfois à faire ressembler ça à des diamants. »
On pourrait s’attendre à ce que ce soit infiniment triste, et pourtant, bien que ce soit émouvant, c’est également très drôle et piquant. Rosa Montero est à son image : bavarde, solaire, ironique, profondément attachante, et ce livre, dont la teneur est si difficile à décrire, est incomparable.
Ma note (4,5 / 5)
Éditions Points, traduit par Myriam Chirousse, 2 juin 2016, 216 pages