
Résumé :
Le jeune Richard Marwood est injustement accusé du meurtre de son oncle et se retrouve condamné à un enfermement à vie dans l’asile d’aliénés du comté. Au bout de huit ans, il s’échappe afin de retrouver les vrais coupables.
Son chemin va croiser celui de Jabez North, orphelin et manipulateur voué au crime, que rien ne semble pouvoir arrêter ; Valerie de Cevennes, une riche héritière tombé dans son piège diabolique ; et Mr Peters, un détective muet qui traduit ses brillants raisonnements dans le langage des signes…
« J’ai entendu dire que les eaux de cette rivière sont pernicieuses et qu’elles donnent la mort à ceux qui vivent sur ses bords mais je sais si bien que les pensées de votre ignoble cœur sont beaucoup plus pernicieuses et un poison plus amer encore, plutôt que de m’adresser à vous, j’aimerais mieux solliciter la pitié de ces eaux noires. »
Mon avis :
La trace du serpent est considéré comme le premier roman policier anglais, et si j’ai aimé me trouver immergée dans une atmosphère typiquement victorienne, avec une bonne dose d’inspiration gothique, j’ai tout de même énormément lutté pour venir à bout de ce roman…
Ce qui est étonnant pour commencer, c’est que l’on connaît l’identité du coupable dès le début (on retrouvait déjà ce schéma dans Le secret de Lady Audley). Il n’y a donc pas, en tout cas pour le lecteur, de grand suspense à cet égard. En revanche, toute la question est comment cet homme sera démasqué, et en attendant de voir venir ce jour, on observe le criminel accomplir méfait après méfait sans être inquiété. Pour autant, c’est sans doute ce personnage qui est le plus intéressant, car le plus complexe. Jabez North est un orphelin, que sa mère avait jeté dans la rivière pour s’en débarrasser et qui a été sauvé in extremis par les habitants de la petite ville de Slopperton. Il s’est petit à petit élevé jusqu’à devenir maître d’études, mais il garde un profond ressentiment et cherche à tout prix à s’enrichir et à acquérir une position puissante, par n’importe quel moyen à sa disposition. Sa première victime collatérale sera Richard Marwood, qui se trouvera par sa faute accusé du meurtre de son oncle. Dès les premières pages, la noirceur du personnage de Jabez apparaît clairement, et je dois dire que ce sont sans doute les pages les plus réussies du roman. Il y a un contraste saisissant entre la façon dont l’auteur présente Jabez, un modèle de perfection et de bonté selon tous ceux qui l’ont croisé, et l’horrible vérité qui se fait jour au fur et à mesure que l’on comprend ses desseins et ses crimes.
Il y a par ailleurs une galerie très élaborée de personnages : le détective Joseph Peters, qui ne peut s’exprimer que par le langage des signes (et qui visiblement a systématiquement les mains sales, détail sur lequel insiste de manière inexplicable Mary Elizabeth Braddon…) ; Richard Marwood qui a été contraint de plaider la folie pour éviter la corde, et qui s’échappera de l’asile pour débusquer le véritable coupable du meurtre de son oncle ; la riche héritière Valérie de Cévennes, qui sera trompée et commettra l’irréparable ; et tout un éventail de personnages plus secondaires mais tout aussi hauts en couleurs.
« La voix lugubre du vent semble avoir, cette nuit, un signification particulière, mais personne ne possède la clé de ce langage étrange et si, par ses cris perçants et dissonants, il veut dire quelque secret sinistre ou donner un avertissement opportun, c’est en vain qu’il le tente car personne ne l’écoute ni ne le comprend. »
L’intrigue est riche en rebondissements, sans doute un peu trop puisque personnellement j’ai trouvé le roman horriblement long et tortueux, avec beaucoup de digressions. A cette époque on encourageait en effet les auteurs à publier leurs romans en trois volumes (le fameux « triple Decker ») de 300 pages environ chacun. Les intrigues se conformaient ainsi à ce format imposé en trois parties, et c’est ce qui explique pourquoi il est si rare de trouver des romans victoriens courts… Il se trouve pourtant que Mary Elizabeth Braddon avait déjà été contrainte, sur les conseils de son éditeur, de faire des coupes importantes à ce roman qui s’est d’abord appelé Three Times Dead. Il m’a semblé que le roman aurait été beaucoup plus percutant si seulement il avait été encore davantage condensé. Ce qui sauve tout de même le roman est l’humour mordant qui parcourt ces pages. Le narrateur adopte un ton pince-sans-rire qui rend l’histoire addictive, le lecteur oscillant entre le dégoût et l’hilarité.
Pour un premier roman, écrit à vingt-cinq ans, on ne peut qu’être admiratif devant tant de maîtrise et d’imagination. Mais j’ai de loin préféré Le secret de Lady Audley ; les personnages étaient plus attachants, et surtout j’avais beaucoup aimé la manière dont Mary Elizabeth Braddon traitait de la condition féminine, dénonçant la société patriarcale et la dépendance dans laquelle se trouvaient les femmes de son époque.
Ma note (2,5 / 5)
Éditions de l’Archipel, août 2012, 598 pages
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