
Résumé :
Après une longue absence, George Talboys rentre en Angleterre retrouver sa femme et son fils. Dévasté à l’annonce du décès de son épouse, il est conduit par son ami Robert Audley chez sa tante, la très belle lady Audley. Mais celle-ci refuse de le rencontrer. Peu de temps après, George disparaît mystérieusement…
Mon avis :
J’ai découvert ce roman grâce aux conseils de Victoria, et c’est vrai que c’est une petite pépite ! Au début de ma lecture, j’avoue avoir été déçue du peu de surprise que semblait revêtir l’intrigue ; on devine assez vite en effet le secret de la fameuse Lady Audley. Déception qui faiblit au fil du récit, lorsqu’on s’aperçoit que l’intrigue se fonde surtout sur la question de savoir comment Robert Audley va parvenir à démasquer le coupable et découvrir la vérité sur le sort de son ami George. Le suspense ne tient donc pas tant à l’identité du coupable, qui ne fait aucun doute dès le début du roman, mais à ce combat que va mener Robert Audley, déterminé à rendre justice à son ami. Cette construction, qui parait inhabituelle pour un roman policier, tient au fait que ce genre littéraire était particulièrement novateur à l’époque, même si on songe souvent à Wilkie Collins et à Alexandre Dumas, auxquels la romancière fait elle-même référence. Le replacer dans son contexte est ce qui en fait à mon sens un roman impressionnant et qui explique l’admiration suscitée par Mary Elizabeth Braddon en son temps.
« Quel que puisse être le mystère, il devient à chaque pas plus noir et plus ténébreux ; mais je ne puis faire marche arrière ou m’arrêter dans ma quête car une main plus forte que la mienne m’indique du doigt le chemin du tombeau de l’ami que j’ai perdu. »
Une fois que l’on a accepté qu’il n’y aurait pas de grande surprise, on se laisse doucement porter par ce récit, délicieusement anglais et typique de l’époque victorienne, avec ces petites touches de moeurs et de morale. Les atermoiements de Robert Audley, qui est systématiquement partagé entre son désir de rendre justice à son ami, et sa répugnance à attirer la honte et le déshonneur sur des personnes qui lui sont proches, en sont la preuve. On trouve par ailleurs beaucoup de références religieuses et mythologiques.
« L’amour, qui n’est pas aveugle, n’est peut-être qu’une fausse divinité après tout ; car lorsque le bandeau tombe des yeux de Cupidon, ce dernier rend ses ailes et s’envole ».
Les personnages sont attachants, et particulièrement riches et complexes, bien que la romancière soit assez sévère avec chacun d’eux : Robert Audley y est ainsi décrit comme un jeune homme indolent et paresseux, et George Talboys comme un homme excentrique et totalement brisé par l’annonce du décès de sa femme.
La condition féminine de l’époque est surtout parfaitement bien retranscrite dans ce roman au travers des différents personnages féminins, particulièrement bien esquissés. Tout d’abord Lady Audley, qui par son mariage avec Sir Michael, a cherché avant tout à fuir la pauvreté et qui apparait comme une femme machiavélique et manipulatrice, une « sirène » égoïste tournant la tête de tous les hommes sur son passage grâce à ses charmes. Alicia Audley, sa belle-fille, est quant à elle impétueuse et fière, et se lamente de l’absence de réciprocité de son amour pour son cousin ainsi que du peu d’égards de son père depuis son mariage. Phoebe Marks, la femme de chambre de Lady Audley, qui se marie par obligation avec un rustre mais qui ne recule devant rien pour améliorer sa condition. Clara Talboys, décrite comme un ange vengeur par Robert Audley, mais qui est enfermée dans sa condition de jeune fille non mariée, sous la coupe d’un père intraitable. À travers cette galerie de personnages féminins, on sent bien que la romancière dénonce la société patriarcale et la dépendance dans laquelle se trouve les femmes de son époque. C’est d’ailleurs renforcé par les quelques discours misogynes tenus par les personnages masculins.
« Elles ne savent pas ce que c’est que d’être au repos. Elles sont Sémiramis, Cléopâtre, Jeanne d’Arc, Elizabeth ou Catherine II, et se vautrent dans les batailles, les meurtres, les cris et le désespoir. Si elles ne peuvent agiter l’univers et jouer à la balle avec les hémisphères, elles changent en montagnes de guerre et en tourments les plus petites taupinières, et soulèvent des tempêtes sociales dans les tasses à thé. Empêchez-les de pérorer sur l’indépendance des nations et les injustices de l’humanité, et elles chercheront querelle à quelqu’un d’autre sous un prétexte futile. Les appeler le sexe faible, c’est articuler une hideuse plaisanterie ; elles sont le sexe le plus fort, le plus bruyant, le plus persévérant, le plus tyrannique. Elles demandent la liberté de penser, la variété des occupations ; les ont-elles ? Qu’on les leur laisse. Laissez-les être jurisconsultes, docteurs, prédicateurs, professeurs, soldats, législateurs, ce qu’elles voudront, mais qu’elles viennent en paix si elles le peuvent. »
En somme un roman très agréable à lire, et qui m’a plongée dans cette ambiance de l’Angleterre victorienne que j’aime tant, avec une dose de mystère qui ne gâche rien. J’ai particulièrement aimé la description du manoir, qui m’a fait penser à Pemberley ou à Thornfield. On peut néanmoins déplorer quelques longueurs, qui s’expliquent en grande partie par le fait que le roman a été publié en feuilletons en 1862, et qu’il fallait maintenir l’intérêt du lecteur chapitre après chapitre. L’auteure parsème donc son roman de rebondissements, de méandres, de voyages aux quatre coins de l’Angleterre et de secrets dont on pense ne jamais découvrir la finalité. On peut s’étonner du peu de notoriété de Mary Elizabeth Braddon de nos jours. Elle n’a certes pas la même plume acérée que Jane Austen ou les soeurs Brontë, mais elle mérite tout de même sa place parmi les classiques victoriens.
Ma note (4 / 5)
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