
Résumé :
Roseanne McNulty a cent ans ou, du moins, c’est ce qu’elle croit, elle ne sait plus très bien. Elle a passé plus de la moitié de sa vie dans l’institution psychiatrique de Roscommon, où elle écrit en cachette l’histoire de sa jeunesse, lorsqu’elle était encore belle et aimée. L’hôpital est sur le point d’être détruit, et le docteur Grene, son psychiatre, doit évaluer si Roseanne est apte ou non à réintégrer la société. Pour cela, il devra apprendre à la connaître, et revenir sur les raisons obscures de son internement.
« Je suis assez vieille pour savoir que le temps qui passe n’est qu’une ruse, une commodité. Tout est encore là, se déploie toujours, se produit toujours. »
Mon avis :
Je crois que ce que j’aime le plus dans la littérature irlandaise, c’est la place qu’y occupe l’histoire du pays. Tous les romans que j’ai lus portent en eux l’âme de l’Irlande, ses souffrances, ses mystères, ses blessures, ses réconciliations impossibles, ses beautés aussi. C’est encore le cas avec Le testament caché, dans lequel tout un pan d’histoire irlandaise traverse le récit et la vie de Roseanne.
Elle est l’une des patientes les plus âgées de l’asile dans lequel elle se trouve. Elle pense avoir cent ans, si ce n’est plus, elle a perdu le compte. Elle fait partie de ces oubliés de la société, ceux qu’on internait sans véritable raison psychiatrique afin de les cacher ou de les punir. Mais voilà, les événements se précipitent et avec la destruction à venir de l’hôpital, le Docteur Grene doit prendre une décision à propos de cette patiente : peut-elle être réinsérée dans la société ou son état mental nécessite-t-il de la confier à une autre institution ? Afin de répondre à ces questions, il va devoir se pencher sur l’histoire de Roseanne et en particulier sur les raisons qui ont conduit à son enfermement à l’asile : était-elle folle ou fait-elle partie de ces nombreuses âmes recluses à tort ?
« Ces lieux en dehors du monde, sans rien de ces choses qui nous font glorifier le monde. Où les soeurs, les mères, les grands-mères, les vieilles filles, gisent, pareillement oubliées. »
Le récit va et vient entre le récit de Roseanne, qu’elle décide d’écrire pour qu’il soit enfin connu de tous, et les notes du Docteur Grene, profondément attaché à la vieille dame et peinant à prendre une décision. Je crois que ce sont ces passages que j’ai le moins appréciés. Son récit est assez redondant et ses réflexions assez pauvres, mis à part celles ayant trait à son épouse qui sont plus émouvantes. Mais par contraste, l’histoire racontée par Roseanne est incroyablement forte. Sa vie et l’histoire de l’Irlande s’entrecroisent : son père presbytérien parmi les catholiques, l’insurrection et la guerre civile divisant la ville de Sligo, la petite histoire qui rejoint la grande, provoquant des ravages dans l’existence de cette jeune fille très seule et sans protection. Même si cela reste un roman, Sebastian Barry n’a pas tout inventé, son destin a été celui de bien d’autres jeunes filles, et les préjugés qui se sont abattus sur elle étaient omniprésents à cette époque de tensions religieuses et politiques. L’injustice et la cruauté de certains personnages, et notamment de ce fameux père Gaunt, m’a indignée à de nombreuses reprises, et c’est la grande qualité de ce roman, extrêmement incarné, qui lève le voile sur une partie de l’histoire irlandaise en provoquant une grande empathie pour son héroïne. Cette narration à la première personne d’une femme faisant l’objet des pires soupçons et de la plus grande ignorance m’a à certains égards, bien que l’histoire ne soit pas du tout la même, parfois fait penser à Corrag dans Un bûcher sous la neige de Susan Fletcher.
« Ces disparitions sont comme un gigantesque morceau de plomb déposé sur l’âme, et cette âme autrefois si légère devient alors un fardeau secret et dévastateur dans notre coeur. »
Il m’a manqué un petit quelque chose pour que cette lecture soit réellement un coup de coeur. Tout d’abord, ce n’est pas le premier roman que je lis sur le thème des internements (souvent injustes et forcés) de femmes pendant une grande partie du XXe siècle (L’étrange disparition d’Esme Lennox, ou La salle de bal par exemple…), et si bien entendu l’histoire diffère à chaque fois, il y avait quand même pour moi un petit goût de déjà lu. Par ailleurs j’ai un peu regretté ce dénouement si attendu et prévisible. J’avoue avoir vu venir la fin très tôt dans ma lecture, mais il est aussi possible que je lise un peu trop de romans autour des secrets… Malgré ces petits bémols, il n’en demeure pas moins que c’est un très beau roman irlandais, et j’ai hâte de poursuivre ma découverte de l’oeuvre de cet auteur !
Ma note (4 / 5)
Éditions Folio, traduit par Florence Lévy-Paoloni, 20 janvier 2011, 416 pages