Toute passion abolie – Vita Sackville-West

« Qu’ils semblaient loin, ces jours autrefois vécus dans la violence des passions excessives et brûlantes, où le coeur semblait prêt à se briser sous l’assaut de désirs complexes et contradictoires ! Le paysage était désormais monochrome, les traits identiques, les couleurs effacées, les paroles toutes abolies. »

À quatre-vingt huit ans, Lady Slane, devenue subitement veuve, est bien décidée à enfin vivre pour elle-même, n’en déplaise à ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants ! Il y a trente ans, elle était tombée sous le charme d’une petite maison à Hampstead, et la voilà quittant Londres du jour au lendemain pour une vie paisible à la campagne. Libérée des contraintes familiales et des contingences matérielles, elle aspire à la retraite parfaite pour se replonger dans ses souvenirs et se poser une question essentielle : a-t-elle été heureuse ? Pour lui tenir compagnie, elle ne tolère que des personnes âgées : sa fidèle servante Genoux, son propriétaire Mr Bucktrout, et une ancienne connaissance qui refait surface, Mr FitzGeorge.

« Cette fissure naissante existant entre elle et le monde n’était pas celle qui sépare l’homme de la femme, mais plutôt les êtres qui sont aux prises avec la réalité et ceux qui se contentent d’en rêver. »

L’humour de ce court roman est féroce, tant dans la personnalité de cette vielle dame excentrique qui dédaigne sa fortune et prend un malin plaisir à tourmenter ses enfants, que dans celle de ces derniers, qui dans l’ensemble sont tous vaniteux, cupides et peu désireux de s’occuper de leur mère. Mais derrière l’ironie grinçante, se dessinent également des passages poignants sur la condition de la femme et le carcan étroit dans lequel on enfermait les jeunes filles, à peine sorties de l’adolescence et déjà poussées vers le mariage, sans la moindre possibilité de rêver au choix d’un avenir qui leur serait propre. Lady Slane rêvait d’être peintre, elle a fini par être la femme décorative d’un homme politique, l’accompagnant dans tous ses déplacements à l’étranger, élevant ses enfants, renonçant à tout désir et ambition personnels.

« Heureuse ! Qu’est-ce que cela signifiait ? C’était tout juste un mot commode pour ceux qui veulent que la vie soit uniformément blanche ou noire, pour ces petites gens perdus dans la jungle humaine et qui cherchent à se rassurer par une formule (…) Non, ce mot seul ne suffisait pas à exprimer la richesse variée, subtile, iridescence de la vie, et après tout, personne ne peut faire pénétrer l’eau d’un lac dans une bulle. »

Il y a des parallèles avec Mrs Dalloway, le chef d’oeuvre de sa grande amie Virginia Woolf, mais aussi avec Mr Skeffington d’Elizabeth von Arnim, bien que les héroïnes prennent des chemins et des décisions finalement assez opposées. Toutes se tournent vers leur passé, reconsidèrent leur mariage, caressent l’idée d’avoir choisi un amant différent qui leur aurait fait connaitre le véritable amour, et portent un regard rétrospectif sur ce qui les a entravées. Publié en 1931, ce roman apporte une réflexion sur la vieillesse et esquisse un joli portrait de femme, qui prend au soir de sa vie une décision furieusement moderne et connait enfin la liberté, le bonheur égoïste, et la compréhension profonde de la part de ceux qu’elle choisit de côtoyer.

Ma note 3 out of 5 stars (3 / 5)

Éditions Livre de Poche, traduit par Micha Venaille , 7 janvier 2009, 224 pages 

3 commentaires sur “Toute passion abolie – Vita Sackville-West

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