
Résumé :
Le roman, publié en 1925, raconte la journée d’une femme élégante de Londres, en mêlant impressions présentes et souvenirs, personnages surgis du passé, comme un ancien amour, ou membres de sa famille et de son entourage.
« Il y avait un vide au cours de la vie ; une mansarde. »
Mon avis :
Un très beau roman, assez court mais extrêmement profond, qui offre une réflexion sur l’individu et ses rapports à l’autre. Le récit se déroule sur une seule journée, et prend la forme d’un long monologue, passant, et c’est assez déconcertant, d’un personnage à un autre à mesure qu’ils se croisent, dans la rue, à une soirée… À certains moments, le roman m’a fait penser au Huis Clos de Sartre, plongé dans un milieu mondain.
« L’amour lui aussi était destructeur. Tout ce qui était beau, tout ce qui était vrai était voué à disparaître. »
Des personnages qui se croisent mais qui ne connaitront jamais les tourments et les espoirs de ces inconnus, plongés qu’ils sont dans leur propre monologue intérieur, et lorsque par hasard ils lèvent la tête et les aperçoivent, ils interprètent ce qu’ils voient en fonction de leur propre humeur et caractère. Ainsi Peter Walsh pense t-il a une dispute d’amoureux en croisant dans Regent’s Park Septimus et Rezia Warren Smith, alors qu’en réalité ils se parlent à peine et que cette dernière se désespère de la folie qui a gagné son mari, traumatisé par la guerre, et que guette un tournant tragique. Ou Richard Dalloway, pris d’un élan de tendresse, qui achète des fleurs pour sa femme et se précipite chez lui pour lui dire qu’il l’aime. Il ne dira finalement rien, convaincu qu’elle a compris sans qu’il ait à parler. Quelle triste erreur…
« Car c’est cela, la vérité en ce qui concerne notre âme, notre moi qui, tel un poisson, habite les fonds marins et navigue dans les régions obscures, se frayant un chemin entre les algues géantes, passant au-dessus d’espaces tachetés de soleil et avançant, avançant toujours, jusqu’à plonger dans le noir profond, glacé, insondable ; soudain l’âme file à la surface et joue sur les vagues ridées par le vent. »
Clarissa Dalloway est au centre de tout ce petit monde, puisque la journée tourne un peu autour de la fameuse réception qu’elle donne le soir même. L’occasion tout au long de cette journée de recroiser d’anciens amis, et de se rendre compte du gouffre qu’il existe entre la réalité des sentiments intérieurs et l’appréciation que peuvent avoir les autres de soi. Ces monologues mêlent présent et passé, et on s’aperçoit que certains personnages ne se remémorent pas leur passé, pourtant commun, de la même manière. On sent à quel point chacun est en réalité profondément seul, puisque personne ne parviendra à le connaître vraiment, à deviner les méandres de son âme et de ses réflexions. Qu’ils soient de parfaits étrangers ou des amis proches, ces personnes ne font que se frôler, sans jamais percer à jour les aspirations, les désirs, les espoirs, les tourments des autres.
« Il y a chez les gens une dignité ; une solitude ; même entre mari et femme, un abîme »
En accédant ainsi aux différents monologues intérieurs de ces personnages, on se rend compte du poids des non-dits, des regrets, ce qui enveloppe le récit d’une certaine tristesse. Clarissa Dalloway en est un parfait exemple, elle semble extrêmement troublée par la réapparition à Londres de son amour de jeunesse, dont elle avait pourtant à l’époque refusé la demande en mariage. Regrette-t-elle à présent son choix ? Est-elle vraiment heureuse dans ce monde d’apparences, un peu snob, où elle a un peu perdu de son identité ? Elle semble soupirer après ses jeunes années, la légèreté de sa vie à la campagne, avec ses deux vieux amis, et réaliser qu’elle est à cinquante ans enfermée dans une vie et dans un rôle qu’elle ne souhaitait pas réellement. La fragilité de cette femme est extrêmement prégnante, alors qu’elle a l’impression d’être en constante représentation. Elle en vient à envier un jeune homme dont elle apprend le suicide, considérant qu’il a « joué son va-tout » et qu’il a réussi à s’échapper de son carcan. On sent en creux une critique de cet enfermement de la femme dans le mariage, de cette absence d’émancipation.
« Elle avait le sentiment fort bizarre d’être invisible ; pas vue, pas connue ; le problème n’étais plus maintenant de se marier, d’avoir des enfants, on était là, à avancer dans Bond Street, au milieu des passants en une étonnante procession assez solennelle, et on était Mrs Dalloway ; même plus Clarissa non, on était Mrs Richard Dalloway. »
J’ai beaucoup aimé le style de Virginia Woolf, très délicat et fluide, qui permet de suivre les pensées des personnages tout au long de leur journée, à peine entrecoupées par une porte qu’on pousse ou par un achat chez le fleuriste. Il y a une grande mélancolie dans ce roman, et on peut s’interroger sur la part autobiographique du récit. Il y a en effet certaines similitudes entre la vie et la personnalité de la romancière et celles de son héroïne : la bisexualité, le féminisme, la maladie, la folie, le suicide… Un récit psychologique, qui se déroule comme d’un seul souffle, tout en poésie et légèreté.
Ma note (4,5 / 5)
2 commentaires sur “Mrs Dalloway – Virginia Woolf”