
Résumé :
Froid, très froid, tel est l’hiver en cette année 1962 à Londres. Le déménagement est inachevé, l’appartement inconfortable. Aucun ami, pas de téléphone, tout juste de jeunes enfants malades. Sylvia est si seule. Ted, surtout, est si loin. Ted, son mari. Ted l’infidèle, qui n’est plus là pour la secourir. Sylvia peuple de poèmes ses longues nuits sans sommeil. Elle chante l’heureux temps de leur mariage, le vieux manoir de Court Green, niché dans la campagne anglaise, en célèbre les fleurs du jardin, les fruits du verger, la douceur des jours. Ted a trahi, Ted l’a quitté pour une autre femme, une amie du couple. Ted n’est plus là. Sylvia est submergée par la tristesse et le désespoir. Elle se sent comme happée par les démons de la dépression qui la poursuivent depuis si longtemps. Elle se doit de résister pour Frieda et Nicholas, ses enfants. Elle veut croire en une vie nouvelle, au retour de l’été, des abeilles, du soleil. Sylvia est cependant si fragile, sa peine si forte. Et cet hiver 1962 à Londres est décidément froid, trop froid.
« C’est l’histoire de son coeur qu’elle recompose, une histoire bâtie sur d’autres histoires, une histoire dont les ambiguïtés persistantes sont aussi authentiques que tout le reste dans sa vie, et dont l’issue demeure incertaine. »
Mon avis :
Un très beau roman, merveilleusement contemplatif, qui imagine le mois de décembre 1962 passé par la poétesse Sylvia Plath à Londres, quelques semaines seulement avant son suicide en février 1963. Après la trahison de son mari et l’effondrement de son mariage, Sylvia décide de quitter la maison familiale dans la campagne du Dartmoor pour un appartement londonien, où, comble de la coïncidence, avait vécu le poète Yeats. Elle veut laisser derrière elle le foyer qui lui rappelle trop sa solitude et la désertion de Ted, et se fondre dans l’effervescence londonienne, se remettre à écrire, et publier un second recueil de poèmes. C’est là qu’elle rassemblera les quarante et un poèmes qui formeront son dernière recueil, publié à titre posthume : Ariel. Des poèmes qu’elle écrit la nuit, lorsque ses enfants sont endormis et qu’elle peut enfin se concentrer sur son travail. Des poèmes qu’elle puise dans sa souffrance, dans son abandon, dans sa dépression latente.
« Les heures s’évaporent, laissant derrière elles leur bûchers funéraires cristallins. »
J’ai beaucoup aimé cette attention délicate de l’auteure de consacrer quarante et un chapitres à son roman, qui non seulement répondent aux quarante et un poèmes du dernier recueil de Sylvia Plath mais qui en reprennent également les titres, dans l’ordre exact souhaité par la poétesse. Il est toujours difficile avec ce genre de roman, dans la veine des biographies romancées (comme Hiver de Christopher Nicholson), de faire la part des faits réels et de l’imagination. Kate Moses s’est fondée sur de nombreuses sources, à commencer par les poèmes eux-mêmes écrits à cette période. Mais le mystère de l’esprit de Sylvia Plath à ce moment de sa vie ne reste-t-il pas impénétrable ? Il n’en demeure pas moins que le portrait qu’en fait l’auteure est extrêmement vivace.
C’est le portrait d’une femme seule et perdue. Elle n’a pas de nounou, pas de téléphone, et se retrouve avec deux enfants en bas âge dans un appartement à peine meublé. Très vite, ils tombent malades, et elle aussi, ce qui ne fait qu’accentuer sa détresse. Et cette fièvre se ressent dans le style. Alternant ces longues et douloureuses journées de décembre à Londres avec des réminiscences de souvenirs, nous voilà plongés dans l’esprit d’une femme à la dérive. L’infidélité de son mari l’a plongée dans une souffrance incommensurable, mais de nombreux thèmes sont par ailleurs abordés, reflétant l’état d’esprit de Sylvia tel que se l’imagine Kate Moses. Ainsi livre-t-elle de nombreuses réflexions sur la maternité, sur sa féminité, sur son rôle d’épouse et sur la difficulté d’exister en tant que femme, en particulier par son travail. Ses enfants sont à la fois son plus grand bonheur et ce qui l’enracine dans sa vie, mais aussi ce qui l’empêche d’avancer, de travailler, de se concentrer sur les suites à donner à sa vie. Elle a par ailleurs souffert d’être dans l’ombre de son mari, Ted Hughes, également poète, et à qui elle a longtemps servi de secrétaire. Écrasé par le joug masculin, elle s’est elle-même perdue en route, ses désirs et ses ambitions ayant été occultés par son rôle de mère et d’épouse. Et pourtant paradoxalement, si elle en a conscience, elle n’arrive pas à se considérer entière sans son mari et sans ses enfants, le trou béant laissé par l’absence de Ted, le coup de canif dans leur bonheur conjugal l’ont totalement désarmée. Ces réflexions m’ont beaucoup fait penser à Mrs Dalloway, de Virginia Woolf. On retrouve dans Froidure cette plongée au coeur des pensées d’une femme, qui s’interroge sur sa place dans le monde, sur son rôle, sur ce qui la définit.
« Est-elle ici ou bien là ? Elle est prisonnière de ce théâtre d’ombres. »
Il y a bien entendu également le thème omniprésent de la dépression. Sylvia Plath avait déjà enduré cette maladie dans sa jeunesse, et par-delà le quotidien qu’elle s’efforce d’assumer, par-delà la force des souvenirs d’un bonheur conjugal disparu qu’elle repasse en boucle, on sent bien que la dépression la guette à nouveau, à moins qu’elle n’ait jamais vraiment disparu. C’est extrêmement triste, de lire ces pages où on sent Sylvia perdre pied, d’autant plus que le lecteur connaît l’issue fatale imminente. Tout au long du roman, on suit ses réflexions, on revit avec elle ses traumatismes, et on se perd comme elle dans le tourbillon néfaste de ses pensées désespérées, passant des petits bonheurs auxquels elle tente de se raccrocher au plus profond abattement. C’est extrêmement troublant et poignant.
Ma note (4,5 / 5)
Tu me donnes bien envie de le lire! Ma pile à lire est énorme mais pourquoi pas rajouter ce petit bijou! des bisous!
Je ne suis pas sûre que j’aimerais l’histoire et que c’est ce dont j’ai besoin de lire en ce moment mais je trouve la couverture du roman magnifique! Quel est le tableau? Les fleurs sont très belles aussi!
Tiens, je n’avais pas vu qu’il était passé en poche! Je me souviens l’avoir commencé à sa sortie en grand format, mais je crois que ce n’était pas le bon moment pour moi. Je suis assez fascinée par Sylvia Plath donc je vais sans doute lui donner une seconde chance 🙂 Si le personnage t’intéresse, je te conseille « Ton histoire, mon histoire », de Connie Palmen (Actes Sud). C’est une biographie romancée du couple Plath/Hughes, racontée avec la voix de Ted Hughes. Je l’ai trouvé très réussi, il apportait une touche de nuance, bienvenue selon moi, au récit finalement assez tragique de ce mariage, qui est le plus souvent conté du point de vue de Sylvia.
Je suis tombée sur cette biographie romancée un peu par hasard, et du coup j’ai effectivement très envie de lire Sylvia Plath dans le texte, notamment La Cloche de détresse ! Je note ta recommandation 😉