La veuve Barnaby – Frances Trollope

Dans la famille Trollope, on connait bien le fils, Anthony Trollope, grand romancier victorien, mais étrangement moins sa mère, Frances. Pourtant, sa vie tout autant que son oeuvre sont passionnantes, et ce roman s’est imposé comme étant le plus populaire.

Dans la petite bourgade de Silverton vivent les Compton. Le patriarche, propriétaire terrien, s’est efforcé de partager son héritage entre son fils marié et sa fille, Betsy, affligée d’une difformité et restée célibataire. Cette dernière fait de judicieux placements, dépense très peu et finit par voir croître agréablement sa fortune, tandis que la famille de son frère, bien moins avisée, accumule les dettes. C’est en vain qu’ils tenteront d’en appeler à la générosité de la vieille fille, qui éprouve une grande antipathie pour sa belle soeur ainsi que pour ses filles, deux coquettes superficielles prêtes à tout pour se faire épouser par un officier du régiment. La plus jeune se marie avant de laisser une petite orpheline, Agnès, aux soins de ses parents. Quant à Martha, elle finit par se résigner, la trentaine passée, à épouser le pharmacien Barnaby, qui lui offre une vie prospère. Malheureusement, la voilà rapidement veuve et sans enfants, bien que bénéficiant d’une rente confortable. La jeune Agnès, alors âgée de 16 ans, devient un objet de dispute entre sa tante Barnaby et sa tante Betsy. Tandis que l’une, égoïste et vaniteuse, la veut à ses côtés comme faire-valoir ; l’autre, orgueilleuse et emplie de préjugés, après avoir payé durant cinq années les études de l’enfant dans l’espoir de l’adopter, finit par renoncer à son projet, persuadée que la nièce est aussi frivole et affligeante que son ennemie jurée. Voilà donc la malheureuse Agnès contrainte de suivre la veuve Barnaby de ville en ville, et de supporter ses réprimandes et humiliations tout autant que son ridicule.

« D’après vos dires, cette jolie personne semble être une perle de grand prix, mais, par malheur, elle se trouve dans la coque de l’huître la plus méprisable, la plus grande, la plus grosse, la plus commune, la plus haïssable qu’on ait jamais pêchée ! »

Tout en plaignant Agnès qui, il faut l’avouer, est au début un peu fade, on se réjouit de la truculente veuve Barnaby et des dégâts qu’elle cause sur son passage ! Bruyante, bien trop fardée pour l’époque et troquant trop tôt son deuil pour des couleurs criardes et des plumes géantes, ce personnage devient de plus en plus ridicule à mesure que l’intrigue progresse. Mentant sur son âge et sa fortune, persuadée qu’aucun homme ne peut résister à son battement de cils, elle se met en tête de se remarier au plus tôt, si possible avec un homme distingué et fortuné. Mais pour cela, il faut forcer la porte du beau monde, et chaperonner Agnès lui offre le prétexte parfait. Elle risque ainsi sa réputation ainsi que celle de sa protégée, se méprenant totalement sur l’intérêt qu’on lui porte, tour à tour courtisée par des escrocs intéressés par sa fortune imaginaire ou bien par des lords en mal de divertissement. Bien sûr, l’enjeu du roman sera de savoir comment cette affreuse parenté va rejaillir sur Agnès et ses promesses d’avenir : quel gentleman acceptera de se lier à une telle femme si elle représente toute la famille dont bénéficie la pauvre orpheline ? Heureusement, la douceur et la beauté de la jeune fille ne manqueront pas d’attirer l’attention sur elle, lui garantissant des amitiés durables et des perspectives porteuses d’espoir.

« On parle beaucoup de la fraîcheur des espérances qui font battre un jeune coeur au moment où il va faire sa première épreuve des joies de la vie, mais c’est une grande erreur de croire qu’un sentiment de cette nature puisse égaler la maîtrise triomphante, confiante et intrépide de la jouissance future qui dilate le coeur d’une femme comme Mrs Barnaby qui vient à peine d’être veuve. »

J’ai adoré ce roman, qui, entre époque géorgienne et ère victorienne, réussit parfaitement à doser comédie humaine et péripéties matrimoniales, un peu à la manière d’une Jane Austen, puisqu’on ne peut s’empêcher de penser à Orgueil et Préjugés ou encore à Mansfield Park, quoiqu’avec bien plus de modernité et un ton plus mordant. Les rebondissements sont nombreux ; les personnages, qu’ils soient antipathiques ou bien attachants, sont impeccablement brossés ; et la société anglaise de l’époque dépeinte jusque dans ses moindres détails, ce qui rend l’ensemble d’autant plus passionnant. Une lecture jubilatoire et irrésistible !

Ma note 4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

Éditions de l’Archipel, traduit par Ambroise Tardieu et Géraldine Barbe, 1er septembre 2013, 620 pages 

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