
« Un brasier enflammait son coeur, dissimulé derrière une apparence gracieuse, douce et paisible. C’était une flamme pure et chaste, qui n’avait pas été allumée par un beau jeune homme, mais se nourrissait des idées de liberté, de beauté, de simplicité, et autres grands idéaux. C’est assez rare chez une femme, il faut le souligner. »
Ce roman aux allures de fable conte l’histoire d’une jeune et belle princesse allemande, Priscilla, qui s’ennuie à la Cour, lasse des conventions et futilités inhérentes à la royauté. Son seul plaisir se réduit aux longues heures passées en compagnie d’un vieux professeur qui par son instruction et son obsession du beau, commet l’imprudence d’éveiller chez elle un désir de liberté et de normalité. Alors lorsque son père accorde sa main à un Prince, c’en est trop : elle décide de s’enfuir. En compagnie du professeur qui devra se faire passer pour son oncle, elle décide de gagner l’Angleterre incognito afin d’y jouir d’une existence tranquille et banale dans une petite chaumière. D’après les leçons de philosophie qui lui ont été prodiguées, seule cette vie dépouillée d’artifices, tout en bas de l’échelle, et au service des plus nécessiteux, sera à même de lui assurer le bonheur.
« Elle allait vivre comme les pauvres et parmi eux, diminuer leurs chagrins et accroître leurs joies, leur tendre une main secourable sur le rude chemin de la pauvreté. Elle descendrait ainsi des hauteurs célestes vers la terre ferme. »
Bien sûr, dès l’arrivée de ces personnages atypiques dans une petite bourgade du Somerset, rien ne se passe comme prévu. La chaumière rêvée est humide et dépourvue de salles de bains, la servante allemande complice de leur fuite ne fait que se plaindre, et l’argent, distribué aveuglément sans aucune notion de sa valeur, manque au bout de quelques jours à peine. L’arrivée de cette princesse qui n’a jamais côtoyé de « petites gens » auparavant va venir chambouler tous les habitants, de la femme du pasteur moralisatrice à la lady du voisinage, tantôt amusée tantôt inquiète pour son unique fils, tombé comme tous les autres sous le charme de Priscilla dès son arrivée. La jeune femme, pleine de bonnes intentions, va commettre impair sur impair, tandis que le roman vire peu à peu à la farce et que la situation devient de plus en plus intenable.
« Mais l’histoire de Priscilla a une telle emprise sur moi ! Il me semble avoir vu immédiatement qu’elle était riche d’enseignements et je me suis sentie obligée de la raconter du début à la fin, pour avertir tous ceux – princesse ou simple mortel – qui pensent que le bonheur se trouve au loin, sans voir qu’il est tout entier à leurs pieds. »
On est bien loin d’Avril enchanté, de La Bienfaitrice, ou encore de Père ici… Ce roman satirique, publié pour la première fois en 1905, apparait si décalé dans l’oeuvre d’Elizabeth von Arnim qu’il y a de quoi décontenancer ses lecteurs les plus assidus. Ce n’est pas véritablement un livre dans lequel on s’attache aux personnages, bien au contraire : on prend plaisir à voir se multiplier les déconvenues et les quiproquos. Les nombreux apartés caustiques de la romancière donne un ton mordant et irrévérencieux qui rend ce petit roman étrange délicieusement drôle malgré la noirceur de certains thèmes abordés. Une jolie surprise qui dévoile une autre facette du talent de cette romancière formidable.
Ma note (4 / 5)
Éditions Bartillat, traduit par Clotilde Jannin, 6 janvier 2022, 325 pages
Je n’ai encore jamais lu cette romancière, ce livre-là m’intrigue ou bien devrais-je commencer par un autre pour la découvrir ?
Franchement oui, je te conseillerais de commencer par un autre, ce n’est ni le meilleur ni le plus représentatif. Tente Avril enchanté, ou bien dans un autre registre La Bienfaitrice !