Voyage en territoire inconnu – David Park

« Je pénètre en territoire gelé, bien que je ne puisse dire à quel pays il appartient. »

Noël approche et une tempête de neige sans précédent s’est abattue sur l’Irlande et l’Angleterre, clouant tous les avions au sol. Afin de ramener son fils, malade et resté seul à l’université de Sunderland, Tom, notre narrateur, quitte le foyer familial de la banlieue de Belfast et prend la route, armé de provisions, de médicaments et d’une panoplie de CD, en direction de l’est de l’Angleterre. Plusieurs heures de voyage en voiture durant lesquelles il va se retrouver seul, confronté à ses pensées.

« Tout me parait soudain d’une intense étrangeté, alors que le présent glisse dans l’espace silencieux où mémoire et conscience se coulent l’une dans l’autre pour créer quelque chose de nouveau. »

Ce voyage en territoire inconnu, c’est celui du lecteur qui s’engage à ses côtés sur les routes enneigées, mais également dans les méandres de son esprit. C’est un voyage au plus profond d’une âme tourmentée, qui s’interroge sur ses failles en tant que père. Cette immersion étreint dès les premières pages le lecteur qui, plongé de manière abrupte dans ce flux de conscience cher à Virginia Woolf, peine à rassembler les pièces du puzzle. Il y a une angoisse et une tension indéfinissables qui s’installent à mesure qu’on se sent privé d’informations cruciales et contraint de suivre ce vagabondage de pensées automatiques, pressentant un malaise, une souffrance, et surtout une culpabilité qui hante le moindre recoin de sa mémoire. Le roman plonge dans une intimité si palpable que la route finit par défiler également sous les yeux du lecteur, suivant un cheminement décousu fait de souvenirs, d’associations d’idées, et de ruminations intérieures. La narration au présent ajoute encore davantage à la confusion, mêlant toute chronologie, tandis que la pensée verse parfois dans la conversation avec un certain Daniel, qui semble apparaitre par intermittence.

« La neige dissimule tout, mais je ne suis pas sûr de pouvoir continuer à couvrir ce qui est pour le moment caché. »

Un texte introspectif et mélancolique qui se lit en un souffle, abordant avec pudeur et sensibilité les écueils de la vie qui viennent s’insinuer dans les familles et en fragiliser les fondations. Ce voyage aux allures de lent processus de rédemption et de deuil, au coeur d’un pays d’un blanc si immaculé qu’il en parait parfois irréel, donne une atmosphère unique et chargée d’émotion à ce roman saisissant.

Ma note 4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

Éditions de la Table Ronde, traduit par Cécile Arnaud, 3 février 2022, 208 pages

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