
Ce tome clôture la trilogie écossaise de Peter May, avec, si tant est que cela soit possible, un peu plus de noirceur encore que les deux précédents.
« Regarde nous maintenant. Piégés sur ce petit morceau de terre au bout du monde. À nourrir notre douleur et notre culpabilité. Nous regardons notre passé avec déception et notre futur avec crainte. »
Nous y retrouvons notre protagoniste, Fin MacLeod, qui a quitté la police et décidé de s’installer définitivement sur son île natale, Lewis. Il accepte le poste de responsable de la sécurité d’un de ces gigantesques domaines composés essentiellement des terres expropriées par de riches propriétaires terriens aux fermiers locaux. Sa principale mission est de débusquer les nombreux braconniers qui pillent les ressources du domaine, et son chemin ne tarde pas à croiser celui d’un ami d’enfance, Whistler, qui vit dans une cabane dans la lande. Après une nuit d’orage, ils aperçoivent tous deux un avion sorti des eaux d’un lac, celui qui avait entrainé la disparition dix-sept ans plus tôt d’un de leurs amis, leader d’un célèbre groupe de rock celtique. Comme dans les précédents tomes, le récit opère des allers-retours dans le passé, au gré des souvenirs de Fin lors de sa rencontre avec les membres du groupe au lycée, puis lorsqu’ils les accompagnait en tournée sur les routes d’Écosse.
« On avait l’impression que tout ce qu’il y avait de bénéfique sur l’île avait disparu. Ses ressources. Ses habitants. Et toutes leurs ambitions. »
On retrouve dans ce roman les thèmes déjà abordés dans les tomes précédents, avec lesquels d’ailleurs de nombreux liens sont opérés, donnant une épaisseur inédite à cet opus final qui semble englober la jeunesse entière de Fin. Il y est question d’amitié, de secrets, de blessures d’enfance, de deuils, de culture écossaise et en particulier celle de ces iles d’Hébrides si isolées et convoitées dans le même temps. Mais aussi de culpabilité et de l’impossibilité de revenir en arrière. Les personnages sont complexes et irrémédiablement attachants dans leurs luttes intérieures. Fin et ses camarades ont tous la quarantaine à présent, et l’optimisme n’est pas de mise : on assiste à leurs espoirs brisés, leur désenchantement, leur conviction d’avoir fait une sortie de route à un moment crucial de leur vie, et d’être impuissants à changer le cours de leur destin. C’est aussi sublime que profondément triste, fondamentalement humain.
« Il se demanda, comme cela lui arrivait souvent, quelle était la finalité de tout cela. Étions-nous là simplement pour avoir une descendance et disparaître, en laissant nos enfants sur cette terre reproduire ce que nous avions fait, comme nous avions nous-mêmes reproduit ce qu’avaient fait nos pères avant nous et les leurs avant eux ? Un cycle de naissance, de vie et de mort dénué de sens ? »
Une trilogie d’exception, d’une grande maîtrise, portée par une écriture d’une poésie hypnotique, et merveilleusement clôturée par ce roman hanté par la nature sauvage des Hébrides et les âmes écorchées vives de ses habitants.
Ma note (5 / 5)
Éditions Actes Sud, traduit par Jean-René Dastugue, janvier 2014, 368 pages
Une trilogie que j’ai adorée de bout en bout, très intense, intéressante et bien menée. Il est rare que j’accroche autant à tous les tomes d’une trilogie/série, mais celle-ci fait exception, chaque tome était incroyable et s’inscrivait dans un ensemble très riche.