
Après ma lecture enthousiasmante des Mystères de la forêt, c’est tout naturellement que j’ai souhaité poursuivre mon exploration de l’oeuvre d’Ann Radcliffe en me plongeant dans Les Mystères d’Udolphe.
« Dans notre passage à travers ce monde, nous rencontrons bien plus de maux que de jouissances ; et comme le sentiment de la peine est toujours plus vif que celui du bien-être, notre sensibilité nous rend victime quand nous ne savons pas la modérer et la contenir. »
On y retrouve l’héroïne typique de la littérature gothique en la personne d’Emilie Saint-Aubert, privée dès les débuts du roman de sa mère puis de son père, et plongée de ce fait dans une situation plus que précaire. Laissée aux mauvais soins de sa tante, Emilie désespère d’obtenir de sa part la permission d’épouser celui dont elle est tombée amoureuse, le chevalier Valancourt. Madame Chéron est en effet bien trop vénale et ambitieuse pour céder sa nièce à un cadet, de ce fait désargenté et dépourvu de titre de noblesse. Quant à elle, elle est décidée à épouser le signor Montoni, un Italien qui lui fait miroiter ses châteaux et ses richesses, et qui le mariage à peine célébré, entraine sa nouvelle épouse et l’infortunée Emilie sur ses terres d’Italie, au château d’Udolphe. Emilie comprend vite qu’elle est soumise à la volonté et à la toute puissance de Montoni, sur l’honneur et la fortune desquels sa tante a été trompée, et qui entend se servir de la jeune fille comme monnaie d’échange pour régler ses dettes. Prisonnière, privée d’amis et de son cher Valancourt, Emilie fera de sombres découvertes sur les secrets que recèlent les murs du terrible château d’Udolphe, perdu dans des montagnes menaçantes et vertigineuses…
« Mais la raison humaine n’a pas plus d’empire sur les fantômes de l’imagination, que les sens n’ont de moyens pour juger la forme de ces corps lumineux qui brillent et s’éteignent tout à coup pendant l’obscurité des nuits. »
Des plaines du Languedoc aux cimes des Apennins, le roman redouble de rebondissements et de mystères que le lecteur tremble de démêler, et qu’il serait bien vain de tenter de résumer ici. Comme dans Les Mystères de la forêt, il m’a été impossible de m’arracher à cette lecture extrêmement prenante, portée par la splendide plume d’Ann Radcliffe et ses incomparables descriptions de la nature. Ici encore le roman est composé de trois tomes, chacun avec une atmosphère bien différente et composant un ensemble fort hétérogène. Le récit est empreint des codes du gothique ce qui lui donne un charme fou, et la romancière excelle à multiplier les secrets et les histoires de revenants pour ne jamais lasser l’imagination de son lecteur. Les menaces semblent omniprésentes, oscillant entre apparitions, rêves prémonitoires et cruels forfaits. Le rythme narratif est particulièrement réussi, passant des tableaux calmes et pittoresques de la Gascogne, de Venise ou encore de la Toscane, aux plus sombres horreurs de caveaux, de couloirs secrets et d’escaliers humides. Il me tardait de percer les nombreux mystères du château d’Udolphe et de ses habitants, et les péripéties menant au dénouement laissent peu de place à l’ennui.
« Plus loin, des bois, des pâturages, des villes, des hameaux, la mer, dont la surface brillante laissait flotter des voiles éparses, un couchant étincelant de pourpre ; ce passage, au milieu des montagnes qui le bordaient, formait la parfaite union de l’aimable et du sublime : c’était la beauté dormant au sein de l’horreur. »
Néanmoins, cette lecture a été peu plus mitigée que celle des Mystères de la forêt, en particulier en raison de l’héroïne du roman, qui est tout bonnement affligeante, même en considérant les codes de l’époque. Si les jeunes filles de la littérature gothique sont toujours par définition de petites choses fragiles nécessitant d’être secourues, incarnations de la pureté et de l’innocence face à la dépravation du monde, Emilie est encore bien pire que ne l’était Adeline. Ses évanouissements à répétitions, ses prises de décision irréfléchies, ses tergiversations incessantes, la rendent particulièrement agaçante et ralentissent énormément le récit qui m’a paru comporter quelques longueurs. Il s’agit ici à nouveau d’un roman symbolisant l’affrontement entre vertu et vice, entre pureté et perversion, mais cette fois j’ai eu du mal à prendre fait et cause pour un personnage si fade. Il m’a semblé par ailleurs noter un certain nombre d’aléas de traduction, et des incohérences dans le récit qui en perturbent parfois la compréhension.
« Un esprit cultivé, disait-il, est le meilleur préservatif contre la contagion des folies et du vice. Un esprit vide a toujours besoin amusements, et se plonge dans l’erreur pour éviter l’ennui. »
Si j’ai aimé Les Mystères d’Udolphe, c’est donc bien en dépit de son héroïne, et plutôt grâce au talent follement romanesque d’Ann Radcliffe qui mêle un suspense qui terrifie autant qu’il fascine, à une mélancolie qui touche au sublime lorsqu’elle entreprend de décrire la nature. Une très grande romancière à découvrir.
Ma note (4 / 5)
Éditions Folio, traduit par Victorine de Chastenay et révisé par Maurice Lévy, 26 septembre 2001, 912 pages
Une autrice qu’il va falloir que je découvre ! je commencerai certainement par « Les mystères de la forêt ».