Les Mystères de la forêt – Ann Radcliffe

Monument de la littérature gothique, Les Mystères de la forêt est un roman parfait pour cette saison automnale.

Pierre de La Motte et son épouse sont contraints, acculés par les dettes, de quitter précipitamment Paris et ses fastes. Les voilà roulant tambour battant dans un carrosse en pleine nuit, avant de se perdre et de se trouver contraints à demander leur route. La Motte aperçoit alors une chaumière éclairée, et est introduit contre son gré dans une situation aussi étrange qu’inopportune. La maison est remplie de brigands retenant prisonnière une jeune fille abandonnée à leurs mains par son père, Adeline. Ils proposent à La Motte de prendre Adeline en échange de son silence. Charmé par la beauté et l’innocence de la jeune fille, ulcéré par la terreur à laquelle elle a été soumise, il accepte et décide de faire d’Adeline sa protégée. Le carrosse reprend sa fuite, agrémenté de cette passagère inconnue. Se perdant à nouveau sur les chemins de traverse, la petite famille tombe sur une abbaye médiévale en ruine, vraisemblablement inoccupée depuis longtemps. L’occasion est trop belle, et ils décident de s’y cacher…

« La forêt, qui d’abord lui avait paru une effroyable solitude, avait perdu toute son horreur et cet édifice, dont les murs à moitié démolis et la sombre désolation avaient frappé son âme de tristesse et d’épouvante, était à présent regardé comme un asile domestique, comme un havre de paix après l’orage. »

Voilà en peu de mots comment débute ce roman que je n’ai pas pu lâcher une seconde. L’atmosphère est tout ce que j’aime dans ce genre de lecture : nous sommes en plein roman gothique, Adeline est l’exemple même de la jeune fille innocente et pure sur laquelle tous les malheurs du monde vont s’amonceler, l’atmosphère est oppressante, jusqu’à verser dans le surnaturel puisque les lieux recèlent bien des secrets morbides. Le récit se fait de plus en plus inquiétant, d’abord en raison des légendes entourant cette sinistre abbaye, puis des dangers qui viennent menacer Adeline, en la personne notamment d’un marquis particulièrement cruel et dépravé. J’ai été époustouflée par la multiplicité des rebondissements et je ne me suis pas ennuyée une minute, tantôt charmée par la plume et les descriptions splendides de la nature environnante ; tantôt anxieuse de voir les événements se dérouler. Le roman est composé de trois tomes, et il est vrai que le gothique est essentiellement présent dans les deux premiers, le dernier plongeant notre héroïne dans un cadre résolument différent, avant de parvenir, avec un enchaînement de circonstances plus surprenantes les unes que les autres, au dénouement.

« Pénétré au fond de l’âme d’une supériorité qu’il rougissait de reconnaitre et s’efforçant de mépriser une influence à laquelle il ne pouvait résister, adorateur du vice, il fut un moment l’esclave de la vertu. »

C’est un véritable coup de coeur de bout en bout pour ma part, ce qui m’a surprise étant données les nombreuses critiques que j’avais pu lire au sujet de ce roman. Tous les goûts littéraires sont dans la nature et je concède bien volontiers que le roman est daté, et qu’il est difficile de se projeter dans les personnages, en particulier celui d’Adeline avec ses terreurs incessantes, sa candeur, sa fragilité, et ses innombrables évanouissements (j’ai bien failli les compter). Pourtant je suis toujours perplexe devant cette tendance à juger un livre à l’aune de notre époque. Ce roman a été publié en 1791, et il faut à mon avis pour apprécier le livre faire l’effort de s’adapter au contexte dans lequel il a été écrit, voir le roman dans un ensemble historique, littéraire ou encore politique. Les Mystères de la forêt a connu un grand succès lors de sa publication, et Ann Radcliffe a été considérée comme l’une des romancières les plus douées à décrire la nature et à terrifier ses lecteurs. Ses influences sont nombreuses, parmi lesquelles Rousseau comme les notes de bas de page le rappellent souvent, et elle a elle-même été pionnière dans un tout nouveau genre de littérature, préfigurant également ce que sera le courant du romantisme (Jane Austen notamment la lisait beaucoup). On peut se moquer des personnages mais ils sont représentatifs d’une époque et d’une certaine vision de la femme, de la noblesse, de la religion, ou encore de l’honneur. Le rythme de l’action est haletant malgré des passages plus mélancoliques dans lesquels Radcliffe s’attache à décrire la forêt avec une richesse immense, et je n’ai pas du tout été gênée par des longueurs. Roman gothique, roman sentimental, roman d’aventures… Les Mystères de la forêt est un peu de tout cela, et au-delà du plaisir de la lecture que j’ai ressenti, le roman m’est apparu passionnant pour tout ce qu’il représente.

« Le zéphyr du matin ranima les esprits d’Adeline , son âme était sensible aux beautés de la nature. En regardant l’exubérance de la végétation émaillée de fleurs, la tendre verdure des arbres, en saisissant, dans l’intervalle des hauteurs, une échappée du paysage diversifié, orné de bois et se dégradant au loin dans des montagnes bleuâtres, son cœur épanoui goûtait un moment de joie. »

C’est le roman de l’affrontement entre vertu et vice, entre pureté et perversion. Le parcours initiatique d’Adeline, véritable chemin de croix du malheur, est follement romanesque et d’un suspense fou. Un grand classique qui m’a absolument conquise.

Ma note 5 out of 5 stars (5 / 5)

Éditions Folio, traduit par François Soulès et révisé par Pierre Arnaud, 24 novembre 2011, 560 pages

8 commentaires sur “Les Mystères de la forêt – Ann Radcliffe

  1. J’ai toujours eu envie de découvrir ce roman. L’ambiance gothique a l’air très réussie et ton avis me conforte dans cette idée. Le confinement sera peut-être pour moi l’occasion de le découvrir. Dans tous les cas, c’est une très belle chronique que tu as écrit là, comme toujours

  2. Cela fait longtemps que je veux découvrir Ann Radcliffe sans oser m’y lancer. Une superbe critique détaillée… on y ressent toute la passion et l’enthousiasme de ta lecture !

  3. J’ai découvert Ann Radcliffe pour Halloween l’an dernier, avec Les Mystères d’Udolphe. Ce fut une chouette lecture dans l’ensemble, même si j’ai été un peu déçue parce que je m’attendais à quelque chose de peut-être plus angoissant. Mais j’ai quand même très envie de lire celui-ci… Le résumé est tentant ! 😉 Merci pour cette belle présentation.

    1. Ce qui angoissait les lecteurs à l’époque nous parait sans doute un peu fade aujourd’hui, mais j’ai adoré l’ambiance.
      J’ai vraiment envie de découvrir Les Mystères d’Udolphe du coup 😉

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