
C’est avec une joie mêlée de tristesse que l’on découvre ce recueil de nouvelles du regretté Carlos Ruiz Zafón, publié à titre posthume. Comme nous l’apprend son éditeur espagnol en préface, l’auteur souhaitait regrouper l’intégralité de ses nouvelles en un seul recueil, et c’est désormais chose faite avec ces onze pépites qui rappelleront avec émotion au lecteur les grandes pages du Cimetière des livres oubliés.
« J’ai toujours envié la capacité d’oubli de certaines personnes qui ne voient dans le passé qu’un changement de saison ou une paire de vieilles chaussures qu’il suffit de remiser au fond d’une armoire pour les rendre incapables de retracer les pas perdus. »
Le sujet des nouvelles varient, mais le thème du deuil est néanmoins une constante, sous toutes ses formes. Tantôt c’est un orphelin qui raconte les circonstances de la mort de sa mère en couches, tantôt un homme qui terrorise la ville entière les soirs de Noël depuis la perte de sa femme, tantôt encore c’est une jeune fille vendue par son père pour consoler les êtres endeuillés. Dans certaines nouvelles, l’ombre de la guerre civile plane encore, rappelant l’absurdité des bombardements et de ces milliers de morts sans nom. On retrouve cette atmosphère inimitable chez Zafón, d’inspiration gothique, faite de brume et de tristesse, peuplée de figures fantomatiques, et flirtant avec le surnaturel. Et l’auteur de rappeler encore et toujours le pouvoir envoûtant de la littérature et des mots pour soulager les blessures de l’âme.
« Il pressentait que si la vie n’était pas un songe, elle était tout du moins une pantomime où la cruelle absurdité du récit coulait toujours en privé, et qu’il n’existait entre ciel et terre une meilleure ni plus efficace vengeance que de modeler la beauté et l’esprit à coups de mots pour trouver du sens dans la folie des choses. »
Histoires de revenants, de malédictions, de rêves et cauchemars, de démons et, surtout, toujours, d’espoir, ces nouvelles aussi sombrement inquiétantes que merveilleusement sublimes sont autant de portes d’entrée dans l’oeuvre de Carlos Ruiz Zafón. On croise dans ces pages un certain nombre de Sempere, on découvre l’origine des plans d’un fabuleux labyrinthe de livres, et on fait la connaissance d’un petit garçon qui gagne l’amitié d’une fillette en lui racontant des histoires… Au coeur du recueil, le lecteur a également la surprise de croiser la route de Miguel de Cervantes, dont l’oeuvre monumentale se trouvera liée par une mystérieuse malédiction, ainsi que celle de Gaudí. Et bien sûr, nous ne serions pas véritablement chez Zafón sans la ténébreuse Barcelone, ville de vapeur et de toutes les fantasmagories, berceau des écrivains damnés et des architectes fous.
« Le proverbe dit qu’un homme doit marcher tant qu’il a encore des jambes, parler tant qu’il lui reste de la voix et rêver tant qu’il conserve encore l’innocence, parce que tôt ou tard il ne pourra plus se tenir debout, il manquera de souffle et il ne désirera plus d’autre rêve que la nuit éternelle de l’oubli. »
Ce recueil est sans surprise un coup de coeur, bien que ce dernier se brise à nouveau à l’idée qu’il s’agit des derniers textes de ce grand écrivain. Une lecture très émouvante, que je recommande à tous ceux qui souhaiteraient retrouver le temps de quelques pages l’univers et la plume ensorcelante de ce conteur de génie.
Ma note (5 / 5)
Éditions Actes Sud, traduit par Marie Vila Casas, novembre 2021, 192 pages