Passion et repentir – William Wilkie Collins

En 1870, en pleine guerre franco-allemande, deux Anglaises que tout sépare se rencontrent. L’une, Mercy, est ce qu’on appelle une « fille perdue », à qui la vie n’a pas fait de cadeau et dont la beauté a cruellement contribué à sa déchéance. Désespérant de parvenir jamais à racheter sa conduite et trouver sa place dans la société, elle a offert ses services comme infirmière sur le front. L’autre, Miss Grace Roseberry, est une jeune fille de bonne famille mais désargentée et orpheline, sur le point de regagner l’Angleterre après une enfance passée au Canada pour offrir ses services de dame de compagnie à une lointaine parente, Lady Janet Roy. Toutes deux font connaissance et s’épanchent sur leurs difficultés, avant qu’un obus laisse Grace pour morte. Mercy décide alors, sur une impulsion, d’usurper son identité et de regagner l’Angleterre sous le nom de sa compagne, où l’attend une vie paisible. Les mois passent, et l’existence de Mercy, devenue Grace, semble en tous points parfaite, jusqu’à ce que les événements viennent la rattraper. Pourra-t-elle poursuivre son mensonge sans craindre de conséquences ?

« Quoi que fasse un homme — qu’il commette ce qui lui chante, d’une peccadille jusqu’au crime —, tant qu’une femme est à l’origine de son acte, il trouvera dans le coeur de toutes les autres femmes une inépuisable réserve d’indulgence. »

L’histoire est, comme le titre l’indique, celle d’une repentance, sous les traits originaux d’une anti-héroïne : une fille de basse extraction, condamnée selon tous les codes moraux de la société de l’époque, et qui vient ajouter à ses méfaits l’usurpation d’identité et la duplicité. Pourtant Mercy incarne l’un des plus beaux portraits féminins de Wilkie Collins tant on s’attache à elle. Prenant le contre-pied d’une distribution des rôles manichéenne chez ses personnages, Wilkie Collins fait de la pécheresse la femme la plus noble d’esprit et de coeur qu’il soit, et on se prend de passion pour ses hésitations, ses angoisses, et ses amours. Le récit tarde un peu à démarrer tandis que l’intrigue et les personnages se mettent en place, se présentant comme une pièce de théâtre, de manière donc quelque peu affectée. Mais par la suite, les pages défilent tant on est suspendu aux multiples rebondissements de l’intrigue, aux réactions des personnages qui ne font qu’illustrer à la perfection la large palette des contradictions humaines.

« Mon idole est peut-être fracassé, mais aucun d’entre vous ne le saura. J’interromps la marche de la révélation, je souffle la flamme de la vérité. Je suis sourde à vos paroles, aveugle à vos preuvres. A soixtante-dix ans, mon idole est ma vie. Elle restera mon idole. »

Le roman pointe évidemment du doigt, comme souvent dans les romans de l’auteur, l’hypocrisie de la haute société victorienne et la fausse pudibonderie de ceux qui s’érigent en censeurs moraux sans jamais accorder la moindre générosité. J’ai adoré par ailleurs ce personnage féminin, véritable Marie Madeleine de l’ère victorienne, qui traverse avec courage les épreuves de la vie et qui (certes quelque peu aidée par un homme) affronte tous les sacrifices au nom de la vérité. Un petit roman, moins connu que La Dame en blanc ou Pierre de Lune, mais qui m’a à nouveau régalée.

Ma note 4 out of 5 stars (4 / 5)

Éditions Libretto, traduit par Éric Chédaille, 5 juin 2015, 384 pages

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