
Le roman nous plonge dans l’intimité d’une petite famille dans la campagne anglaise. Olivia vient d’avoir dix-sept ans, et est invitée à son premier bal. La voilà tiraillée entre le foyer familial, doux cocon de l’enfance qui l’a tenue ignorante des choses du monde, et de nouveaux désirs d’émancipation qui l’effraient et la surprennent. Sa soeur aînée Kate part bientôt pour un an à Paris, l’abandonnant à des parents aimants mais distants et à un petit frère bien trop jeune pour être apte à partager ses questionnements sur la vie. Son anniversaire apporte ainsi un flot d’interrogations sur sa condition de femme, sur son avenir incertain, et, déjà, sur la mort. Il est plaisant de voir le monde à travers ses yeux innocents et généreux, mais également dans une certaine mesure très perspicaces.
« Depuis quelque temps, une émotion particulière accompagnait la minute où elle se regardait ainsi, de pied en cap : de façon imprévue et rare, il arrivait qu’elle vît en face d’elle une étrangère, un être nouveau. »
Le bal est bien entendu la cause d’un certain remue-ménage. L’occasion pour Olivia de contempler son reflet et de craindre la banalité de son apparence, la frivolité de son intelligence, et de révéler la piètre estime qu’elle a d’elle-même, comme beaucoup d’adolescentes de son âge. Elle se compare à sa soeur, si digne, si belle, si apprêtée sans effort apparent. Ces pages portent les tourments universels de l’adolescence, et cette jeune fille qui se rend à son premier bal en 1920 n’est dans le fond pas si éloignée de celles des années 1990 qui attendaient leur première boum avec autant d’impatience que d’appréhension.
« C’était comme mourir un peu que d’être là. La vie, de l’autre côté de ce mur, continue, mais je l’ai quittée. Je ne veux pas d’elle. Je la hais. Elle me hait et me rejette. J’oublie et je suis oubliée. Je ne suis rien. »
La fameuse soirée arrive enfin vers la seconde moitié du roman, et je dois avouer que le temps m’a semblé long avant cela. Promenades et petites rencontres diverses, scènettes familiales ou encore séances d’essayage m’ont quelque peu laissée de marbre et le ton excessivement naïf m’a paru bien fade. Le rythme change avec le bal, durant lequel Olivia va faire en quelques heures à peine l’expérience de la vie adulte. Elle y fait la connaissance de personnes extrêmement variées, est charmée par certaines qui semblaient de prime abord inintéressantes, au contraire déçue par celles qu’elle attendait avec impatience de rencontrer. Lui est donné à voir un aperçu du monde et de sa diversité : des jeunes hommes égoïstes, prétentieux, prévenants, alcoolisés, tendres…, des jeunes filles hautaines, superficielles, amicales, vulgaires… Olivia s’émeut du sort de l’un, s’offusque du comportement d’un autre et découvre pour la première fois toute la complexité des rapports humains. Elle est gauche, intimidée, se vexe de certains manques d’égards. Ce bal est une métaphore parfaite de la transition parfois brusque de l’enfance protégée et aseptisée à l’âge adulte, brutal et codifié.
« Elle entendait se répercuter, très loin, très loin d’elle, les derniers échos de la danse. Pas un flocon d’écume d’une seule de ces ondes ne m’atteindra désormais. Je ne m’en soucie plus. Je ne m’en inquiète plus. En être parvenue au point de ne plus souffrir, que c’était doux, que c’était apaisant !… J’en suis là, parce que je ne m’en vais pas les mains vides. Il m’est arrivé beaucoup de choses, bonnes ou mauvaises. Qu’est-ce donc qui en fait presque la richesse ? Fragments étranges, méli-mélo de regards, de paroles… En réalité, rien, pour moi. »
Je dois avouer que ce roman, pourtant régulièrement encensé, ne m’a pas autant plu que je l’aurais souhaité. Comme dans Poussière, qui avait été un immense coup de coeur, il y est question de l’adolescence et de cet âge critique des jeunes filles qui quittent l’enfance pour le monde périlleux et inconnu des adultes. Mais la profondeur, la sensibilité et la finesse qui m’avaient tant charmée dans Poussière m’ont semblé absentes dans L’invitation à la valse, ce qui est d’autant plus étonnant que ce roman est postérieur et qu’on aurait pu imaginer davantage de maturité et de densité dans les réflexions. Cela ne m’a semblé être qu’une succession de réflexions enfantines d’une jeune fille dans la fleur de l’âge. Il n’y a pas vraiment d’intrigue, pas vraiment de conclusion, le ton est léger, presque candide, et si l’héroïne est touchante à bien des égards, il m’a semblé difficile de m’y attacher réellement. J’ai été assez décontenancée enfin par la plume de la romancière, que j’ai trouvée très directe, moins poétique et mélancolique sans doute que dans ses autres romans. C’est donc plutôt une déception pour cette lecture dont j’attendais pourtant beaucoup. Reste à savoir si la suite, Intempéries, me plaira davantage…
Ma note (3,5 / 5)
Éditions Belfond, traduit par Jean Talva, 1er octobre 2020, 240 pages