La Séquestrée – Charlotte Perkins Gilman

Cette nouvelle d’à peine 40 pages (la postface, passionnante par ailleurs, est plus longue que le texte lui-même) est un véritable uppercut. Dans une atmosphère empruntant aux romans gothiques, elle incarne avec une acuité inquiétante les moeurs de la société « victorienne » américaine.

« Parfois je pense que si seulement j’allais assez bien pour écrire un peu, cela me reposerait, me déchargerait du poids oppressant des idées. »

La narratrice se trouve dans une vieille bâtisse à la campagne, son mari, médecin, étant persuadé que le grand air parviendra à la guérir de tous ses maux. Quels sont-ils d’ailleurs, cela reste peu clair même si on peut faire des hypothèses. Voilà une femme qui vient d’avoir un bébé, à qui on interdit le recours à l’écriture, qui se sent enfermée dans le carcan du mariage sans aucune réelle liberté, y compris celle de pouvoir choisir sa chambre à coucher. Son mari lui a diagnostiqué « une simple dépression passagère, un léger penchant à l’hystérie », autrement dit la formule magique pour englober toutes les velléités des femmes au XIXe et début du XXI siècle. Il lui prescrit donc cette cure de « repos », l’astreignant à un rôle de femme au foyer qui la répugne au plus haut point, et refusant de céder à la moindre de ses demandes. Ainsi il lui impose une chambre sinistre, couverte d’un papier peint jaunâtre aux motifs plus qu’inquiétants. Elle y passe ses journées, privée de toute stimulation intellectuelle, tantôt dormant, tantôt scrutant le papier peint qui semble avoir une existence propre et dont les dessins semblent bouger. Bientôt elle y discerne une femme séquestrée qui tente désespérément de ramper pour s’en libérer.

« J’ai mis longtemps à comprendre ce qu’était cette forme floue, en retrait, mais je suis certaine à présent qu’il s’agit d’une femme.
De jour, elle est asservie, tranquille. Je suppose que c’est ce motif qui la retient ainsi séquestrée. Cela me tourmente. M’absorbe pendant des heures. »

Cette nouvelle, profondément autobiographique, est un classique américain, qui n’est pas sans rappeler certains écrits d’Edith Wharton ou plus tard de Sylvia Plath. Elle retranscrit cette impuissance des femmes qui se sentent prises en otages de leur condition féminine, asservies à leur rôle de femmes au foyer, d’épouses et de mères ; et dont la seule échappatoire serait l’écriture, unique moyen d’exister par soi-même. Le style est incroyablement prégnant, la narration terriblement efficace, au point que l’on puisse craindre que la folie ne gagne également le lecteur. On étouffe avec notre narratrice dans cette chambre au terrible papier peint jaune, ainsi que sous le poids des interdictions et des exhortations de ce mari impatient, infantilisant et égoïste. Un texte qui ne fait que trop rappeler le sort des femmes mariées à l’époque, à qui on intimait d’être des mères et des épouses dévouées, et surtout discrètes. Leurs frustrations les entrainaient bien trop souvent dans la dépression, la neurasthénie, auxquels on répondait par des traitements absurdes et contre-productifs, ces fameuses « cures de repos » qui équivalaient à des séquestrations et avaient bien trop souvent comme effet de faire définitivement perdre pied à la patiente.

« Un rien me fait pleurer, et je pleure la plupart du temps. »

Cette nouvelle remarquable nous entraine dans les méandres labyrinthiques de cette femme qui semble perdre la raison, mêlant avec habileté psychologie et une certaine dose de fantastique, et forme un plaidoyer redoutable contre la société patriarcale de l’époque.

Ma note 4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

Éditions Libretto, traduit par Diane de Margerie, 20 mars 2008, 112 pages

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