
À mon grand étonnement, un roman d’Elizabeth Gaskell m’est tombé des mains… Après mon engouement total pour Nord et Sud, Femmes et Filles, ou encore Les amoureux de Sylvia, j’ai quelque peu lutté pour terminer cette lecture qui m’a plongée bien souvent dans l’ennui.
« Que valaient ces rêves stériles et creux maintenant qu’elle avait découvert le secret passionné de son âme ? »
Le roman nous entraine dans un Manchester lugubre, en pleine période de récession, au sein de la famille Barton qui bien vite se trouve réduite au père et à sa fille Mary, heureusement entourés par leurs amis et voisins. Rien n’est épargné aux membres de cette petite communauté soudée mais marquée par les deuils et les épreuves. Mary, apprentie couturière, s’efforce tant bien que mal d’aider son père, ouvrier dans une filature de coton et délégué syndical désespéré. Elle rêve de se marier avec un homme riche afin de pouvoir offrir à son père une vie confortable loin de ses tourments. Elle rencontre ainsi un certain Henry Carson, le fils du propriétaire d’une usine, et le laisse lui faire la cour. Mais son coeur hésite et penche également pour un autre amoureux : Jem Wilson, son ami d’enfance, simple ouvrier au coeur généreux. La voilà embarrassée entre deux amoureux que tout oppose : classe sociale et qualités humaines. Le choix qu’elle fera pourrait avoir de lourdes conséquences…
« Car chacun d’entre nous a pu constater par lui-même que quelques petites minutes des mois et des années qu’on appelle la vie suffisent à jeter sur tout le temps passé et à venir un éclairage entièrement nouveau ; à nous faire voir la vanité ou l’infamie de nos conduites révolues, et à changer si radicalement notre regard sur l’avenir que nous considérons avec dégoût cela même que nous désirons le plus, quelques instants peuvent changer notre personnalité à vie en orientant nos buts et nos énergies d’une façon totalement différente. »
On sent bien dans Mary Barton à quel point il était important pour Elizabeth Gaskell, arrivée à Manchester après son mariage, de décrire ce qu’elle voyait, d’interpeller l’ensemble de la société sur ce qui se déroulait dans l’indifférence générale. D’ailleurs le sous-titre du roman : « Chronique de la vie à Manchester » éclaire sur cette volonté de décrire les conditions de vie des ouvriers et d’attirer l’attention des lecteurs. En ce sens, le roman est incroyablement réussi, et Elizabeth Gaskell atteindra son but. Tout y est : maladie, misère, faim, chômage, luttes syndicales et cette incompréhension dramatique entre ouvriers et patrons, source de nombreux drames.
« Personne ne songeait à traiter les ouvriers comme des frères et des amis, ni à s’adresser à eux comme à des êtres doués de raison en exposant exactement et intégralement les motifs poussant les patrons à penser que la politique la plus sage pour l’heure était de faire eux-mêmes des sacrifices et d’en espérer autant de la part de leur main-d’oeuvre. »
Malgré ces qualités, et la force des convictions que l’on ressent dans ces pages de la part de la romancière, j’ai malheureusement trouvé le récit assommant. Il s’agit du premier roman d’Elizabeth Gaskell, ce qui explique peut-être une certaine absence de maîtrise de l’intrigue, qui traine énormément en longueur. On est parfois un peu perdu entre les passages de revendications ouvrières et ceux ayant trait à l’héroïne elle-même, bien que tout soit entremêlé, ce qui conduit à de nombreux retours en arrière quelque peu artificiels et redondants. À bien des égards, ce roman préfigure ce que sera Nord et Sud : une intrigue amoureuse au coeur du tumulte social du nord de l’Angleterre. Mais Margaret Hale est une héroïne beaucoup plus attachante que ne l’est Mary Barton, et surtout la densité du récit, marqué par l’attachement de la romancière à dénoncer les injustices sociales et le sort des ouvriers, ne vient pas au détriment de la fluidité de l’intrigue mais au contraire l’enrichit, formant un ensemble harmonieux et passionnant.
« Le désespoir s’installa comme un nuage noir ; de temps à autre, à travers le calme absolu de la souffrance perçaient les sifflements de vents houleux, annonçant la fin de ces sombres présages. »
Bien qu’un peu décevant pour l’admiratrice que je suis, une fois replacé dans l’ensemble de son oeuvre, Mary Barton signe à mon sens les prémisses du talent d’Elizabeth Gaskell, qui explosera dans tous ses romans suivants, faisant d’elle l’une des plus grandes romancières anglaises.
Ma note (2,5 / 5)
Éditions Points, traduit par Françoise du Sorbier, 10 mars 2016, 600 pages
Celui-ci je l’ai noté depuis quelques temps dasn ma liste d’envies : j’espère qu’il me plaira malgré ton avis un peu mitigé 😉
Bonne journée