
Résumé :
Fut-il un héros, fut-il un traître, cet oncle Eddie, volontaire de l’IRA, dont la légende familiale prétend qu’il disparut en 1922 dans l’explosion d’une distillerie ? A Londonderry, dans les années cinquante, le jeune narrateur, troisième enfant d’une famille d’ouvriers qui en compte sept, vit sous le joug de ce secret de famille, entre une mère étroitement liée au mystère et un père tenu dans l’ignorance d’une vérité encore plus terrible que celle qu’il croit détenir.
« La liberté. Dans un endroit pareil. Il n’y en avait jamais eu, et n’y en aurait jamais. Et puis qu’était-ce, de toute façon ? La liberté de faire ce qu’on aimait était une chose. La liberté de faire ce qu’on devait en était une autre. Proches les uns des autres, et éloignés aussi. »
Mon avis :
Dans les années 50 en Irlande du Nord, le narrateur, dont on ne saura jamais le prénom, raconte son enfance dans un village où tout le monde se connaît et où l’on chuchote sur ses voisins. Il règne dans ce roman à la fois un parfum d’innocence et d’enfance, et le poids d’un tragique secret de famille qui va peser sur le jeune garçon. À cette époque, les adultes ont connu les troubles des années 20, la partition de l’Irlande en 1922 et la guerre civile. Et on se situe avant les troubles de 1968, qui ont fait resurgir la violence en Irlande du Nord. L’atmosphère en Irlande du Nord est donc loin d’être apaisée : violences et corruptions policières, délations, catholicisme écrasant… Qu’il est difficile de grandir dans un tel contexte.
« La famille de mon père était tellement brisée que je la voyais comme une catastrophe avec laquelle on ne pouvait vivre qu’à condition de la garder secrète, de la laisse mourir toute seule comme un feu dangereux. »
Mais à cet environnement vient s’ajouter un lourd secret de famille, dont le narrateur apprendra la teneur par bribes, parfois par hasard, en écoutant aux portes, en faisant des déductions, en recoupant les témoignages de différentes personnes. Ce secret concerne son oncle Eddie, le frère de son père. Personne n’en parle, son père se mure dans le silence, sa mère détourne les yeux, et pourtant l’ombre d’Eddie est omniprésente. Était-il un héros, ou bien un traître ? A-t-il simplement disparu, ou est-il mort ? L’histoire de cet oncle qu’il n’a jamais connu va obséder le narrateur, mais aussi le lecteur, qui au début du roman est quelque peu perdu au milieu de ces éléments entrecoupés. Car la construction du roman est astucieuse, cette succession de courts chapitres qui semblent n’avoir aucun lien entre eux si ce n’est cette mystérieuse histoire de famille, ces querelles intestines, ces secrets gardés jusqu’entre époux. Aux bribes d’information que le jeune garçon va recueillir au fil des années, se mêlent des fragments de souvenirs d’enfance, qui semblent parfois indissociables du fameux secret. Les adultes parlent par énigmes, convoquant des légendes et des histoires, maudissant les fantômes et le diable qui hantent leurs contrées et leurs existences.
« Hantée, hantée. Maintenant que tout était précis, tout devenait d’autant plus immatériel. Moi qui avais tant voulu savoir ce qui la tourmentait, au point de devenir moi-même ce tourment. »
Se déroule ainsi sous nos yeux une enfance marquée par le sceau du secret et un climat délétère, sur fond de tensions religieuses et nationalistes. Le narrateur est extrêmement attachant, portant un regard tantôt naïf sur le monde qui l’entoure, tantôt au contraire bien trop perspicace. Au fur et à mesure des interlocuteurs et des années qui passent, il découvre petit à petit la vérité, qui va se diffuser dans cette famille comme un lent poison, changeant irrémédiablement ses rapports avec ses deux parents, l’un parce qu’il est tenu dans l’ignorance, l’autre parce qu’elle craint qu’il ne dévoile tout. Ce secret qui ronge sa famille métamorphose son enfance et le place dans une position douloureuse et délicate, contraint de jouer le jeu des adultes, et de protéger ceux qu’il aime à un âge où on devrait poser un regard émerveillé sur le monde.
C’est un roman d’apprentissage très touchant, mêlant malédictions familiales et histoire de l’Irlande. Le roman de l’apaisement ou de l’impossible pardon ?
Ma note (3,5 / 5)
Éditions Actes Sud, traduit par Marianne Véron, 6 octobre 2005, 320 pages
Je ne connaissais pas cet auteur ! Et toc, ce roman entre illico dans ma wishlist Irlande 🙂 Merci pour la découverte !
Super !
Sans conteste un de mes romans préférés; un des rares que j’ai relu une seconde fois, quelques années plus tard. Magnifique et avec un grand pouvoir évocateur.