
Résumé :
Jojo n’a que treize ans mais c’est déjà l’homme de la maison. Son grand-père lui a tout appris : nourrir les animaux de la ferme, s’occuper de sa grand-mère malade, écouter les histoires, veiller sur sa petite sœur Kayla. De son autre famille, Jojo ne sait pas grand-chose. Ces blancs n’ont jamais accepté que leur fils fasse des enfants à une noire. Quant à son père, Michael, Jojo le connaît peu, d’autant qu’il purge une peine au pénitencier d’État. Et puis il y a Leonie, sa mère. Qui n’avait que dix-sept ans quand elle est tombée enceinte de lui. Qui aimerait être une meilleure mère mais qui cherche l’apaisement dans le crack, peut-être pour retrouver son frère, tué alors qu’il n’était qu’adolescent. Leonie qui vient d’apprendre que Michael va sortir de prison et qui décide d’embarquer les enfants en voiture pour un voyage plein de dangers, de fantômes mais aussi de promesses…
« C’est pas bon d’utiliser la colère pour détruire. On prie pour que la colère se change en tempête qui fera jaillir la vérité. »
Mon avis :
Un roman totalement envoûtant et hypnotisant, comme la littérature américaine sait si bien le faire. Je dois avouer que la quatrième de couverture, avec ce mélange drogue-pauvreté-prison, m’a un peu fait douter de prime abord. Mais les critiques avaient l’air unanimes et dithyrambiques, sans oublier que Jesmyn Ward est la seule femme à avoir reçu deux fois le National Book Award, ce qui suffisait déjà à me donner envie de me plonger dans son roman.
« Je le ressens aussi en moi. Une démangeaison dans les mains. Une impulsion dans les pieds. Une palpitation au milieu de la poitrine. Une intranquillité. Profonde. »
Me voilà alors embarquée dans un récit choral à trois voix, qui se maintient dans un parfait équilibre entre un lyrisme hallucinatoire et un réalisme cru, porté par une écriture poétique et inquiétante. Jojo, ce jeune garçon de 13 ans fasciné par son grand-père, en colère contre sa mère défaillante, et incroyablement protecteur envers sa petite soeur, est profondément attachant. Il est à l’âge où l’on grandit, où l’on cherche à comprendre le monde des adultes, et il pose sur ce qui l’entoure un regard si clairvoyant que c’en est troublant. Il vit dans une famille hantée par les fantômes omniprésents du passé, victimes du racisme quelles que soient les époques dans ce Sud pauvre et divisé. Une famille qui malgré l’amour a du mal à panser ses blessures et à nouer les liens, surtout le jour où Léonie décide d’embarquer ses deux enfants pour un trajet en voiture cauchemardesque en direction de la prison dont doit sortir leur père. Et une famille, enfin, coupée en deux, puisque son père, blanc, a commis l’irréparable erreur de tomber amoureux d’une une femme noire.
« Leur chant est omniprésent : leur bouche ne remue pas et pourtant ça émane d’eux. Une mélodie dans la lumière jaune. Ça émane de la terre noire, des arbres et du ciel toujours éclairé. Ça émane de l’eau. C’est le plus beau chant que j’ai entendu, mais je n’en comprends pas un mot. »
Jojo s’impose de plus en plus comme la figure forte du roman, celui qui va permettre aux différentes voix d’émerger : celle de son grand-père et du drame tu de son incarcération en camps de travail ; celle de Léonie, incapable d’être une mère et obsédée par les visions du fantôme de son frère surgissant parmi les brumes de la drogue ; celle de Richie qui veut désespérément se rappeler sa propre mort ; celle de Philomène qui se meurt et cherche à transmettre son don d’entrouvrir les voiles… La description de ce Mississippi raciste, qui ruine des générations entières, poursuivies par les injustices et la misère, est particulièrement saisissante. Les époques se troublent, les destins s’entremêlent. On ressort bouleversé, révolté et habité par ce roman entre rage et tendresse, tour à tour lumineux et sombre, poignant et magnifique.
Ma note (4,5 / 5)
Éditions Belfond, traduit par Charles Recoursé, 7 février 2019, 272 pages
J’ai prévu de le lire en mars. Je n’ai encore rien lu de cette auteure mais les échos sur ses livres sont vraiment excellents. Je me demande comment j’ai pu passer à côté jusqu’à présent !
Je ne connaissais pas du tout cette auteure non plus !
Bouleversé, c’est le mot ! Une superbe découverte ! ♥