Killers of the Flower Moon – David Grann

« L’Histoire est un juge impitoyable. Elle expose au grand jour nos erreurs les plus tragiques, nos imprudences et nos secrets les plus intimes ; elle jouit de son recul sur les événements avec l’arrogance d’un détective qui détiendrait la clé du mystère depuis le début. »

Ce n’est un secret pour personne : les États-Unis sont bâtis sur l’expropriation des communautés autochtones, des centaines de tribus déplacées, parquées dans des réserves, forcées à l’assimilation, voire tout simplement anéanties. Toutes sauf une, la tribu Osage qui a bien réussi son coup de poker. Chassée par le gouvernement et contrainte, la mort dans l’âme, d’abandonner son territoire originel dans le Kansas, la tribu a choisi une région aux confins de l’Oklahoma, aride, rocailleuse, désertique, dont aucun Blanc ne voulait puisque rien ne pouvait y pousser. Ce territoire, les Osages l’ont achetée, en devenant les propriétaires légaux, le contrat spécifiant que toutes les ressources qui y seraient découvertes leur appartiendraient légitimement. Le jour où des gisements de pétrole y sont découverts, c’est la ruée vers l’or noir et le début d’une accumulation de richesses considérable pour les Osages, qui deviennent rapidement millionnaires en louant les puits. Une richesse vue d’un mauvais oeil, puisqu’à partir de 1921, des meurtres ciblant des membres fortunés de la tribu commencent à se multiplier. Alors que la panique règne et que l’indignation monte, les polices locales bâclent les investigations et échouent à identifier un coupable. Ce sera le premier succès officiel de Edgar J. Hoover, sur lequel il fondera le FBI.

Cette histoire incroyable, et dont les rebondissements sont dignes du meilleur thriller, illustre un pan entier de la construction de la société américaine : la marginalisation et l’infantilisation des autochtones, considérés comme des citoyens de seconde zone ; la corruption qui gangrène jusqu’au plus haut niveau de l’appareil judiciaire ; l’irruption de nouvelles méthodes d’investigation comme le relevé d’empreinte digitale. Elle révèle aussi une véritable culture de l’assasinat, du vol et de l’escroquerie, et pare les clichés du western d’un voile de laideur crasse et de cruauté inhumaine.

« Où trouveras-tu donc une caverne assez sombre
Pour couvrir ton visage farouche ?
Conspiration, n’en cherche point ;
Cache-le sous le masque de la bienveillance et de son sourire caressant. »

Si la lecture est exigeante en raison de la profusion de détails et de protagonistes, la construction en trois parties articule intelligemment la progression, s’attachant tout d’abord à la famille de Mollie, dont la soeur, assassinée d’une balle dans la tête, sera le point de départ de toute cette histoire ; puis à l’irruption des agents fédéraux dans l’enquête, et le rôle majeur joué par Tom White, dont la ténacité et l’intégrité finiront par percer la vérité et qui sera pourtant injustement oublié du grand récit que fera Hoover, maniaque, égocentrique et paranoïaque, de cette histoire sur laquelle il a bâti sa propre gloire ; et enfin une dernière partie consacrée à la démarche du journaliste David Grann lui-même, sa méthode et ses interrogations.

« La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu’à moi. »

Servi par un travail titanesque qui permet de remettre en lumière une mémoire collective Osage traumatisée par ce qu’elle nommera Le Règne de la Terreur, ce livre époustouflant, extraordinairement documenté, retrace minutieusement cette enquête qui semblait impossible, présentant progressivement les différents protagonistes, compilant les indices, offrant un récit d’une limpidité addictive. Mais si ce livre est captivant, c’est aussi en raison de la plume de David Grann, et de tout ce qu’il y met d’empathie et d’humanité. La colère et la tristesse affleurent, tandis que nous est dévoilé un pan fort sombre de l’Histoire américaine, qui préfère oublier que ses fondations reposent sur l’annihilation d’un peuple, l’expropriation, le racisme, la corruption et les discriminations.

Ma note 5 out of 5 stars (5 / 5)

Éditions Globe, traduit par Cyril Gay, édition collector, 6 octobre 2023, 368 pages 

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