Histoires de la nuit – Laurent Mauvignier

« La peur, maintenant, est leur seul territoire commun. »

Dans le hameau isolé de La Bassée, on ne compte que trois maisons : l’une est vide et en vente, l’autre est occupée par Christine, une artiste peintre excentrique ayant quitté les fastes parisien et un mari banquier pour venir s’enterrer dans ce désert rural ; et la dernière où habitent les Bergogne : Patrice, agriculteur bourru que Christine connait depuis l’enfance et qui fait figure pour elle à la fois de fils et de meilleur ami, sa femme Marion, une ancienne citadine distante, et leur petite fille de 10 ans, Ida. Lorsque le roman s’ouvre, Patrice accompagne, une nouvelle fois, Christine à la gendarmerie. Celle-ci reçoit en effet depuis quelques temps des lettres anonymes, qui se font de plus en plus menaçantes. Christine en est surtout agacée, même si l’inquiétude commence à poindre. Mais cet agacement est bientôt relégué au second plan : Marion fête son quarantième anniversaire, et c’est le branle-bas de combat pour lui préparer une soirée digne de ce nom. Christine a accepté de négliger ses toiles le temps de préparer des gâteaux, Patrice est parti récupérer le cadeau et Ida doit le rejoindre à la sortie de l’école pour décorer le salon et la table. Mais les réjouissances anticipées prennent bientôt un tour inattendu lorsque des individus viennent rôder autour des maisons…

« Bientôt, il y aura la mort qui s’invitera dans le hameau comme elle s’invite partout, car elle est partout chez elle, chez elle quand elle veut, prenant ses aises dans des appartements où elle n’avait jamais posé les pieds ni daigné lancer un coup d’oeil ; soudain chez elle, comme une reine sans pudeur et sans gêne, vaguement obscène, laissant hagards et démunis tous ceux qui avaient cru un instant qu’elle les avait oubliés. »

On ne retrouve ici aucun des codes stylistiques du thriller, cette écriture sèche, rapide et ciselée qui heurte et reflète souvent la violence de l’intrigue. La tension nait au contraire de ces longues phrases, qui plongent au coeur de la psyché de chacun des personnages et laissent s’étirer leurs pensées, leurs souvenirs, leurs frustrations et leurs pulsions, tant et si bien que cette profondeur finit par angoisser le lecteur, immergé en apnée dans cette écriture déployée à l’infini. Tout est dévoilé par toutes petites touches, tant la personnalité des différents personnages, que les motivations de ceux qui les menacent. La moindre phrase, le moindre mouvement sont décortiqués jusqu’à l’os, rendant palpable la peur qui s’installe. Une lenteur qui fait passer de l’inquiétude à l’angoisse puis à la terreur, la violence saillant entre deux introspections, renversant tout équilibre et laissant le lecteur hagard, tandis que le chaos finit dans les dernières pages par s’accélérer jusqu’à un final cauchemardesque. Un vrai tour de force !

Ma note 4 out of 5 stars (4 / 5)

Éditions de Minuit, 3 septembre 2020, 640 pages 

3 commentaires sur “Histoires de la nuit – Laurent Mauvignier

  1. Encore un de ces beaux livres qui me fait énormément envie, mais que je n’aurai sans doute malheureusement pas le loisir de placer dans un planning de lectures déjà bien chargé. Tu en parles très bien en tout cas et relance l’envie.

  2. J’ai lu ce livre il y a un moment déjà, il m’a laissé une forte impression. La non liberté de se défaire de son passé quand vous vous en êtes libéré mais qu’inexorablement il vous rattrape.

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