Babysitter – Joyce Carol Oates

S’il y a une chose qui ne change pas, c’est l’immense talent de Joyce Carol Oates que l’on a la chance de retrouver avec un roman dur et noir, qui vient s’ajouter à la fresque assassine que la romancière dessine, livre après livre, des États-Unis.

« Chacun de nos actes (involontaires) (volontaires) mène inévitablement à (une) mort. Quand étant la seule variante. »

À la fin des années 70, Hannah mène une vie de rêve dans une petite banlieue cossue de Detroit. Elle est mariée avec un homme riche, Wes, qui travaille dans les affaires bien qu’elle n’y comprenne rien, et a deux jeunes enfants. Depuis quelques temps, elle se sent dériver. Approchant la quarantaine, délaissée voire ignorée par un mari de plus en plus absent, elle est devenue un stéréotype : une femme soumise, toujours souriante et apprêtée, qui ne vit que pour sa progéniture, et construit ses journées entières autour d’un rôle de plus en plus circonscrit et étouffant. Alors quand, à une énième soirée de bienfaisance, un inconnu l’attrape par le poignet, elle a l’impression de se réveiller enfin. Cet homme qui va lui donner des rendez-vous clandestins dans la suite d’un hôtel de luxe va lui faire tourner la tête, la faisant tomber peu à peu dans un piège, empêtrée dans une liaison aussi dangereuse que dégradante. En parallèle, toute la communauté blanche et privilégiée des alentours de Detroit suit avec inquiétude dans la presse les méfaits d’un tueur en série, tristement surnommé Babysitter, qui enlève, viole et assassine des enfants.

« Où vont les disparus quand ils disparaissent ?
Car à n’en pas douter ils ne disparaissent pas pour eux-mêmes, mais seulement pour les autres. »

Joyce Carol Oates signe un thriller corrosif sur une certaine frange de la société américaine, cette élite bourgeoise blanche aveugle et indifférente aux profondes divisions de classe, dans une ville où résonnent encore les échos des émeutes raciales de 1967 et où règnent le patriarcat, les fractures raciales et un capitalisme sans scrupules. La romancière aborde la pédophilie, les mécanismes de prédation sexuelle, la corruption des élites, la banalité des fausses accusations visant la communauté noire, le poids de la maternité, la violence sous toutes ses formes, ou encore le pouvoir de l’argent. Le personnage de Hannah concentre un nombre incalculable de problématiques : elle est hésitante sur les contours d’un viol ; hésitante sur les origines de sa gouvernante et de ce que cette dernière peut bien penser de sa situation de domestique ; hésitante sur ce que trafique son mari lorsqu’il part le matin sans même la regarder ; hésitante sur ceux qu’elle peut définir comme des amis ; hésitante sur son rôle de mère, qui vient gangrener ses désirs.

« Tu as déjà subi cela. Tout ce qui est à venir, tu ne peux l’empêcher.
De nombreuses fois, encore. Pour la première fois. »

Le style d’Oates est unique, intuitif, hypnotique, les chapitres courts voire parfois lapidaires, et le texte exigeant, avec une structure narrative brillante et complexe, passant sans cesse de la conscience d’un personnage à un autre, brouillant les époques, la frontière entre rêve et réalité, perdant le lecteur dans des méandres psychologiques qui le font sans cesse douter de ce qui se passe réellement dans ces lignes. Un roman magistralement construit, asphyxiant, intelligent, dans lequel Joyce Carol Oates renoue avec ses thèmes de prédilection. Les pièces du puzzle se mettent peu à peu en place, même si les dernières pages laissent planer un doute angoissant. Un nouveau tour de force d’une immense écrivaine.

Ma note 4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

Éditions Philippe Rey, traduit par Claude Seban, 12 octobre 2023, 608 pages 

Un commentaire sur “Babysitter – Joyce Carol Oates

  1. Joyce Carol Oates c’est le top du top. Je vais me ruer chez mon libraire car cette sortie m’avait échappé. Je devrais me souvenir qu’elle publie surtout chez une « petit » éditeur (qui a quand même gagné un prix Goncourt il n’y a pas longtemps). Ce qui est génial, c’est que malgré son âge… respectable, elle publie de plus en plus et du tout bon parce que, comme elle l’a expliqué, elle a plus de temps libre depuis qu’elle est retraitée de l’enseignement.

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