Tes pas dans l’escalier – Antonio Muñoz Molina

Un homme emménage à Lisbonne. De son balcon, il aperçoit la statue du Christ qui lui donne parfois l’impression de se trouver plutôt au Brésil. Il a recruté un homme à tout faire, qui se dépêche de terminer tous les petits travaux nécessaires. Il faut que tout soit prêt pour l’arrivée de Cecilia, sa femme, une scientifique qui travaille sur les effets de la peur sur la mémoire. Elle est toujours à New-York et ne le rejoindra qu’au dernier moment au Portugal où elle a accepté un poste dans un nouveau laboratoire. En l’attendant, il s’occupe. Il promène son chien dans les rues lisboètes avec lesquelles il  s’efforce de se familiariser. Il veille à ce que le nouvel appartement soit agencé exactement comme leur appartement new-yorkais afin que Cecilia ait tous ses repères. Il défait les cartons de déménagement et pioche dans sa bibliothèque, se perdant dans des heures de lecture. Et son esprit s’égare, pris dans une certaine langueur, empêtré dans l’attente. Il se remémore son quotidien avec Cecilia, ce qu’elle lui a appris des mystères de la mémoire et du cerveau, ses écrivains fétiches, ses souvenirs de beauté, mais aussi ces jours terribles qui ont succédé au 11 Septembre 2001, et le traumatisme qui en a résulté pour toute une ville et ses habitants.

« J’ouvre les yeux dans la pénombre estompée par les premières lueurs du jours et je suis encore là-bas, jusqu’à ce que, peu à peu, la lucidité s’installe et génère l’incertitude. Je suis là-bas et ici en même temps. Maintenant est alors et aussi tout de suite. »

La narration est lente, et se déplie à la mesure de l’attente de cet homme. Petit à petit, certains détails accrochent et rendent l’atmosphère lourde, oppressante. Il réalise que les avions qui survolent l’appartement font énormément de bruit, et s’étonne de ne pas s’en être rendu compte avant. Il est obsédé par les informations, toutes plus angoissantes les unes que les autres, certain que la fin du monde approche et qu’il est temps de se carapater dans un nid douillet avec tout le confort et les provisions possibles. Surtout, il semble de plus en plus sur le fil. Il se réveille et ne sait plus s’il se trouve à Lisbonne ou bien à New-York. Il tourne en rond et peine à s’occuper, avant de s’inquiéter d’un détail insignifiant. Des pans entiers de sa mémoire semble s’effriter quelques minutes, avant que tout ne revienne dans l’ordre. Et le lecteur ne peut manquer de s’interroger sur l’absente : va-t-elle venir ?

C’est le roman de l’attente, celle de la femme restée de l’autre côté de l’Atlantique, qui travaille, est active, brillante, énergique, tandis que lui se replie sur lui même, s’enfonce dans l’immobilisme et la sédentarité, ne vit plus que dans ses pensées. Le lecteur est fasciné par les méandres de cet homme, et ressent une inquiétude palpable tandis que les jours semblent s’accumuler, se confondre, sombrer dans l’inertie et une angoisse diffuse. Un roman psychologique aussi dérangeant que poignant, impeccablement mené par le style tout en subtilité d’Antonio Muñoz Molina.

Éditions Seuil, traduit par Isabelle Gugnon, 6 octobre 2023, 256 pages 

2 commentaires sur “Tes pas dans l’escalier – Antonio Muñoz Molina

  1. Je termine à l’instant ce livre , réellement addictif même si axé sur les réflexions voire les ruminations du narrateur. Cet ouvrage est aussi très instructif , pas seulement quant aux recherches en neuro-sciences de Cécilia , un domaine de plus en plus développé par des auteurs, comme Siri Hustvedt mais aussi quant aux lecteurs, aux chiens (je n’ai pu résister au moment où Luria tente d’empêcher son maître de lire, comme ma petite Ulla le fait avec moi), mais encore à l’invasion touristique d’une ville ou à la dureté de New-York. Un livre qui nous sort de notre zone de confort, à recommander aussi pour la traduction.

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