La Sentence – Louise Erdrich

« On répand la fumée de l’encens ou de la sauge. On ramène les défunts à la vie et on laisse leur esprit vagabonder. On se souvient d’eux, on prend acte de leur impact sur les vivants. Et puis on les brûle, on les libère, on leur dit de nous laisser tranquilles. Ça ne marche jamais. L’année d’après, ils sont toujours de retour. »

Après des années d’incarcération, Tookie a radicalement changé de vie : elle s’est mariée à un ancien policier devenu homme médecine, et travaille dans une jolie librairie de Minneapolis, spécialisée dans la littérature autochtone. Si tout semble aller pour le mieux, sa tranquillité va être malmenée par l’arrivée inopinée du fantôme d’une cliente, Flora,  qui semble décidée à hanter la librairie. Ce n’est que le premier des soucis que vont rencontrer les différents personnages alors que le roman s’ouvre en novembre 2019 ; le COVID et le terrible meurtre de George Floyd viendront à leur tour ébranler toutes les certitudes et remettre en lumière les fantômes d’un passé trop vite oublié.

« Alors je l’ai senti : la terre a retenu son souffle, une lente expiration, puis un doux silence tamisé. J’ai éteint ma lampe et mes pensées se sont estompées. Il venait de se mettre à neiger. Pure et fragile, la neige tombait enfin, séparant l’air et la terre, les vivants et les morts, la lectrice et le livre. »

Si j’ai été de prime abord quelque peu déconcertée par la structure du roman, La Sentence est sans doute l’un des livres les plus lumineux de Louise Erdrich, alors qu’il aborde de nombreux sujets douloureux au travers de cette communauté soudée et attachée à ses traditions. Si le fantôme qui hante les rayons de la librairie peut prêter à sourire, il n’est que le reflet de tout ce qui hante les personnages, leurs morts, leurs regrets, leur passé, ainsi que de tout ce qui hante les États-Unis dans leur ensemble : une histoire qui s’est faite dans le sang par la dépossession et l’asservissement, et qui continue de charrier des résonances troublantes par l’expropriation, le racisme, ou encore les violences policières.

« D’où sortait cette impression que c’était là le monde que j’attendais depuis toujours ? »

On s’attache bien sûr énormément à Tookie, que l’on suit depuis les erreurs de junkie qui l’ont conduite en prison, jusqu’à cette renaissance par les livres et les mots, cet épanouissement total obtenu par l’amour de son métier d’une part, et celui de son mari de l’autre. Elle est pétrie de contradictions, empêtrée dans son passé, ses traumatismes et ses regrets, et cet enchaînement d’événements qu’elle va connaître en l’espace d’un an à peine va venir bousculer tous ses ancrages. Les autres personnages ne sont pas en reste, à commencer par Pollux, tourmenté par le tourbillon médiatique autour de son ancienne profession ; leur nièce-quasiment-leur-fille Hetta, au caractère difficile, venue trouver un foyer chez eux ; et toutes les collègues libraires de Tookie, Penstemmon, Akena, Jackie, et même Louise qui fait une apparition dans son propre roman, composant une galerie de personnages hauts en couleur et fascinants. Pour finir, ce roman est un très bel hommage aux livres et aux librairies, ainsi qu’au pouvoir incandescent des mots qui guérissent, apaisent et pardonnent.

Ma note 4 out of 5 stars (4 / 5)

Éditions Albin Michel, traduit par Sarah Gurcel, 6 septembre 2023, 448 pages 

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