Le Dimanche du Souvenir – Darragh McKeon

« Je la repasse encore, cette phrase qui résonne dans les chambres de ma vie : Comment tu t’appelles, fiston ? »

Le 8 novembre 1987 à Enniskillen en Irlande du Nord, une bombe de l’IRA a explosé près du mémorial de guerre de la ville lors d’une cérémonie du Dimanche du souvenir, qui commémorait les militaires britanniques morts à la guerre, faisant douze morts et soixante-trois blessés. Parmi ces derniers se trouvait Simon Hanlon, 15 ans, fils d’un père catholique et d’une mère protestante, en mémoire de laquelle il était venu défiler. Le traumatisme avait induit une épilepsie, progressivement disparue à la fin de l’adolescence. Plus de trente ans plus tard, Simon vit à New-York et vient de se séparer de sa femme. Il est de nouveau brutalement terrassé par des crises, au point d’envisager une opération chirurgicale. Comme tous les épileptiques, ses crises sont précédées d’une aura, durant laquelle il entend une terrible voix lui susurrer à l’oreille : Comantapelfison. Lorsqu’il finit par comprendre qu’il s’agit d’une question : « Comment tu t’appelles, fiston ? », il est replongé des années en arrière, lors de cette nuit froide et terrifiante où son chemin a croisé celui d’un activiste de l’IRA.

« Il est des choses que les gens dissimulent derrière les mots, il y a des mots cachés à l’intérieur des choses, comprimés, prêts à fleurir à tout moment. »

Quelle richesse dans ce roman ! Toute la singularité du récit provient de cette blessure béante signifiée par l’épilepsie, qui rarement aura été aussi bien décrite et documentée, mais le roman se démarque également par la profusion des thèmes abordés : la réalité du quotidien durant les Troubles, l’engagement social des partisans de l’IRA, l’impact du traumatisme et de la culpabilité sur les rouages de l’esprit humain, la puissance du souvenir, ainsi que l’effet libératoire de l’écriture. Darragh McKeon mêle avec brio la petite histoire avec la grande, nouant immédiatement une empathie profonde avec le narrateur, affolé du retour de son épilepsie, terrifié par ses souvenirs et l’opération à venir. Incapable de poursuivre sa vie normalement, il est forcé de revenir sur les traces de son passé, et il se souvient de son père, ancien docker devenu fermier, fasciné par sa précieuse horloge à pression barométrique ; des pâtisseries de sa mère, dont la disparition a causé une déflagration dans le foyer ; de cette jeune fille venue habiter quelques jours chez des voisins et dont la gravité l’avait marqué à tout jamais ; et bien sûr des soldats, des véhicules blindés, des murs de séparation, des check points. La narration progresse jusqu’à se dédoubler, explorant avec intelligence et finesse la complexité des Troubles, partant sur les traces de l’homme de l’ombre croisé durant cette nuit qui n’en finit pas de hanter Simon.

« Nous considérons les souvenirs comme de pâles versions d’un moment particulier. Je commence à me demander si le contraire n’est pas vrai ; peut-être que notre expérience des événements et de leurs incidences sur le présent sont minces, sans relief, que nous nous contentons de les accumuler, et c’est seulement plus tard, une fois libérés, à travers le paysage du temps, qu’ils arrivent enfin à maturité. »

Loin d’être un énième roman sur le conflit nord-irlandais, ce roman bouleversant, porté par une plume saisissante entièrement au service de l’émotion des personnages et de l’entrelacement de leurs destins, se distingue par son originalité et la justesse de son propos. Une pépite de cette rentrée littéraire irlandaise.

Éditions Belfond, traduit par Carine Chichereau, 24 août 2023, 240 pages 

Laisser un commentaire