Les voix du Pamano – Jaume Cabré

« Comme la lumière des lointaines galaxies, ma voix, si j’ai de la chance, te parviendra lorsque depuis longtemps je serai mort. Nous sommes comme des étoiles, fillette. La distance fait de nous des étoiles comme des pointes en haut du ciel. »

Les anciens racontent que lorsqu’on entend la douce musique des flots du Pamano, la mort est proche…

Tina, une institutrice chargée de réaliser une exposition sur l’école des soixante dernières années, décide de photographier l’ancienne école du petit village catalan de Torena, avant qu’elle ne soit détruite. En faisant un dernier tour dans la salle de classe poussiéreuse, elle découvre des cahiers d’écoliers cachés derrière le tableau noir, noircis par l’ancien maître, le phalangiste Oriol Fontelles, « tombé pour Dieu et pour l’Espagne ». Fascinée, elle va entrevoir la véritable histoire de cet homme dans ces lignes qu’il adressait à sa femme ainsi qu’à la fille qu’il n’a jamais pu connaître. À ses côtés nous remontons le temps, revenant aux heures sombres de la guerre civile et des années qui l’ont suivie, alors que la Seconde Guerre mondiale faisait rage et que les Pyrénées étaient le siège des maquisards, qui tentaient toujours de renverser les positions franquistes et de combattre le fascisme par tous les moyens.

« Tu sais quoi ma fille ? Jouer les héros c’est extrêmement fatigant : j’ai toujours aussi peur. »

Dans la société contemporaine où évolue Tina, la société reste marquée par les fractures d’antan, refusant de rouvrir les plaies encore à vif de la mémoire collective espagnole. Déterminée à retrouver le destinataire de la lettre perdue d’Oriol Fontelles, affligée par ses propres tragédies intimes, elle va mener l’enquête, interroger les témoins encore vivants, remuer la boue que tout le monde avait espéré laisser au pas de sa porte, avec la complaisance de l’Église catholique et l’argent des puissants, comme cette Elisenda Vilabrú, femme sublime et adulée, portant en son coeur une vengeance au long cours, et qui détiendra entre ses mains de nombreux destins, tels des cartes à abattre pour parvenir à ses fins.

« J’ai l’impression qu’il n’y a que moi qui sache que le malheur ne s’éteint jamais : il trouve toujours un os à ronger. Ma petite, ma fille, je veux que tu retiennes bien qu’on ne connaît jamais la fin de l’infortune. »

Des années 40 à nos jours, entre guerre civile, franquisme et une démocratie parfois fragilisée par la corruption, le récit déploie sur près de 700 pages une histoire d’amour et de haine, de vengeance, de mémoire, et de trahison. Le style de Jaume Cabré, comme toujours, est déconcertant, et ses romans se méritent. Les voix, les époques, les formes narratives alternent en permanence, dans un imbroglio compliqué que le lecteur se voit chargé de démêler. Noirceur et humour parsèment le roman dont les personnages sont la plus grande réussite tant leur épaisseur psychologique est travaillée. Petit à petit le panorama se dessine, les voix s’incarnent, et les eaux du Pamano résonnent, charriant sa myriade de familles brisées, de héros oubliés, d’histoires tronquées.

Ma note 4 out of 5 stars (4 / 5)

Éditions Actes Sud, traduit par Bernard Lesfargues, 8 février 2023, 720 pages 

2 commentaires sur “Les voix du Pamano – Jaume Cabré

  1. Ta chronique est très belle. Je ne connais pas du tout la littérature espagnole en dehors des lectures que j’ai pu faire au lycée, voilà un roman qui me semble être une bonne porte d’entrée!

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