
« Pour écrire des romans, on n’a pas besoin d’imagination. Seulement de la mémoire. On écrit des romans en combinant des souvenirs. »
Un journaliste se rêvant romancier décide de s’intéresser à un épisode de la guerre civile touchant Rafael Sánchez Mazas, l’un des fondateurs de la Phalange. Ce dernier a raconté des années durant son incroyable fuite devant le peloton d’exécution des troupes républicaines : errant dans la forêt, il avait été poursuivi et retrouvé par un milicien, qui l’avait regardé longuement avant de le laisser partir, lui sauvant la vie. Le journaliste décide d’enquêter sur cette histoire incroyablement romanesque, opérant des recherches sur Sánchez Mazas lui-même, écrivain moyen et homme politique finalement de peu d’envergure, interrogeant les rares protagonistes encore vivants dans les années 2000, reconstituant le puzzle de ces quelques jours pendant lesquels le phalangiste s’est échappé et a survécu dans la forêt en attendant l’arrivée des nationalistes et la fin de la guerre. Finalement, quand il finit par s’atteler à l’écriture, il s’aperçoit que la tâche s’avère plus ardue que prévue, et le livre bancal : en réalité, il lui manque un héros, et ce ne peut certainement pas être Sánchez Mazas. Qui était ce mystérieux milicien, et surtout que s’est-il passé durant ces quelques secondes, dans ce regard échangé ?
« – Mais toutes les guerres sont pleines d’histoires romanesques, n’est-ce pas ?
– Seulement pour celui qui ne les vit pas. Seulement pour celui qui les raconte. Pour celui qui va à la guerre pour la raconter, et non pour la faire. »
La guerre d’Espagne n’est jamais loin dans les romans de Cercas, et on comprend au travers de cet épisode, qui serait anecdotique s’il ne concernait pas le plus grand phalangiste encore vivant à la fin de la guerre, pourquoi elle ne cesse d’être traitée dans la littérature du pays, sous toutes les formes littéraires imaginables. Cercas livre ici un « récit réel » dans lequel la fiction se dispute avec la réalité, rappelle la complexité du conflit espagnol qui s’éloigne des divisions manichéennes, et mène surtout une brillante réflexion sur l’importance de la mémoire, le devoir de réconciliation, et la définition de l’héroïsme, rappelant le sort réservé à ces hommes tombés dans l’oubli, dont on ne se souvient ni du nom ni du rôle inestimable dans la marche de l’Histoire, y compris européenne.
« Les héros ne le sont que quand ils meurent ou qu’on les assassine. Et les véritables héros naissent dans la guerre et meurent dans la guerre. Il n’y a pas de héros vivants, jeune homme. Ils sont tous morts. Mors, morts, morts. »
Une très bonne lecture, bien que le roman souffre de quelques répétitions, tant dans l’histoire racontée que dans les effets stylistiques ; et j’avoue m’être quelque peu impatientée de la place occupée par Sánchez Mazas dans ce récit, tant il me tardait que le narrateur/auteur s’intéresse enfin au mystérieux milicien inconnu, qui n’arrive qu’assez tard pour donner enfin au récit une épaisseur émotionnelle et romanesque considérable. Pour reprendre une distinction rappelée à de nombreuses reprises par l’auteur lui-même, c’est un bon roman, qui ne devient un grand roman que dans la troisième et dernière partie le temps de quelques pages d’une beauté littéraire poignante qui confine tant au sublime que le souffle en est suspendu. Inoubliable Miralles…
Ma note (4 / 5)
Éditions Actes Sud, traduit par Élisabeth Beyer et Aleksandar Grujicic, février 2004, 240 pages