
« C’est une terrible imagination que celle qui met dans les longues fureurs du vent les plaintes désespérées de tous les trépassés de ce monde : ce pleur incessamment grossi des âmes qui planerait en certains moments sur la nature inanimée, cette angoisse impuissante qui briserait les forêts et se briserait aux montagnes, ce funèbre appel de ceux qui sont sous la terre à ces qui sont dessus »
Depuis des siècles, la légende raconte que les châtelaines d’Eppstein qui meurent le soir de Noël ne quittent la vie qu’à moitié, revenant hanter les vivants, tour à tour les protégeant ou les châtiant. Raconté par un narrateur ayant fait l’expérience d’une nuit dans la terrible chambre rouge hantée par une dame blanche, le récit retrace l’histoire des habitants du Château d’Eppstein, jusqu’à la toute dernière génération. Les comtes s’y sont succédés, certains plus honorables que d’autres, jusqu’à deux frères : Maximilien et Conrad. Ce dernier a été répudié par son père en raison de son mariage avec la fille du garde-chasse, une mésalliance intolérable qui conduira à son exil en France. Reste heureusement l’ainé, Maximilien, pour perpétuer le noble nom familial. Celui-ci cherche à se remarier après le décès de sa première épouse, et séduit la douce Albine, jeune ingénue qui croit voir en lui un héros allemand, avant de rapidement déchanter une fois les voeux prononcés. Car Maximilien est cruel, emporté, libertin, et fait vivre un enfer à sa jeune épouse. Lorsqu’elle décède la nuit de Noël après avoir donné naissance à un fils, Everard, elle scelle le destin des habitants du château.
« Prends garde, Maximilien, prends garde : l’enfant te condamnera, la tombe te punira. Pour la dernière fois, tu entends, pour la dernière fois, écoute moi, et tâche de te souvenir et surtout de me croire, car, si tu ne croyais pas aux paroles de ma langue glacée, c’est ma main glacée qui se chargerait de te convaincre. »
Ce roman gothique de Dumas, qui s’inspire des contes de Hoffmann, regorge de fantômes, de passages secrets, d’amours contrariées, de serments violés et de femmes bafouées. Everard, repoussé par son père et contraint à une existence presque solitaire, grandit dans l’ombre du souvenir de sa mère. La forêt entourant le domaine est un personnage à part entière, enveloppant l’enfant, lui offrant protection et une certaine éducation, l’isolant du reste du monde, de la marche implacable de l’Histoire, et des passions humaines. L’atmosphère, mêlée de romantisme, de mélancolie et de gothique m’a évidemment beaucoup plu, même si on est loin des rebondissements et des mystères présents chez Ann Radcliffe par exemple. Albine est un personnage à l’évolution très intéressante, passionnée puis docile et résignée, et finalement esprit fidèle et vengeur, parfaite figure du matriarcat des femmes d’Eppstein qui continuent à veiller sur les leurs par-delà la mort. Maximilien est, à l’inverse, terrifiant de mépris et de brutalité. En revanche, j’ai souvent trouvé les autres personnages, Everard et Rosemonde en particulier, assez ternes. Ce sont deux jeunes gens aussi touchants qu’agaçants de naïveté, d’innocence et de bons sentiments. La plume de Dumas n’en demeure pas moins magnifique, toute en poésie et descriptions vivaces, assez éloignée de la truculence des Trois Mousquetaires, et j’ai trouvé cette incursion dans le gothique bien plus réussie que dans Pauline, qui m’avait laissée davantage de marbre.
Ma note (3,5 / 5)
Éditions Folio, 24 septembre 2015, 400 pages
Je ne pense pas avoir déjà lu ce classique mais appréciant la littérature gothique, il me tente beaucoup.
Je n’ai pas encore celui-ci mais, j’avais adoré « Pauline » que je compte relire 🙂