
« L’Obscurité était ouverte, la nuit était infinie. »
Monstrueux. Ce roman mériterait bien des qualificatifs, mais c’est celui qui s’est imposé à moi en refermant ces pages.
Le roman s’ouvre en janvier 1981 ; un père et son fils traversent l’Argentine en voiture, échappant à leurs démons et au deuil pour l’un d’une épouse, pour l’autre d’une mère. Juan, torturé par des migraines atroces, cherche à protéger son jeune fils de six ans, Gaspar, mais de quoi ? Que fuient-ils ? Pourquoi tant de précautions sur la route ? Petit à petit, on en apprend davantage sur le mystérieux don de Juan, un médium utilisé pour convoquer l’Obscurité, une divinité cruelle et sanglante, à laquelle obéit aveuglément une secte familiale puissante et richissime, espérant percer ainsi les secrets de la jeunesse éternelle. Juan, dont le coeur est malade, sait que ses jours sont comptés. Si son fils a hérité de son don, il sera en danger.
« Les fantômes sont réels et ce ne sont pas toujours ceux qu’on appelle qui viennent. »
Alternant les voix et les époques, de la pampa argentine à la fiévreuse Buenos Aires en passant par un Londres psychédélique, le roman se situe au parfait point d’équilibre entre la beauté et l’horreur. Le souffle court, en compagnie de Juan et de Gaspar, le lecteur suit leur chemin jalonné de deuils, de monstres innommables, de sacrifices humains, de maisons terrifiantes, de cette terreur froide et brutale. Le plus troublant est l’incursion du fantastique dans la terrible réalité de l’histoire nationale argentine, les crimes de cette famille au service des forces occultes se superposant à ceux d’une dictature régnant par la torture, les meurtres et les enlèvements. Ce mélange entre réalité et fiction, entre faits historiques et surnaturel, contribue à authentifier la peur, à lui donner une véracité qui coupe le souffle.
« Il y avait quelque part un coeur noir qui avait besoin de lui et un jour il accomplirait ses désirs car, lorsqu’on ne peut pas se battre, l’unique manière d’être en paix, c’est de se rendre. »
C’est terrifiant, et pourtant impossible de s’arracher à ces 700 pages d’horreur, de gothique, de macabre, d’abomination, mais aussi de poésie, d’amour, d’amitié, d’espoir et de courage. En effet, au-delà d’une histoire qui donne la chair de poule, avec des détails si vivaces qu’il m’a fallu parfois m’extirper de ma lecture pour reprendre pied avec la réalité ; le roman aborde sans détour la vie, la mort, et surtout la puissance de la filiation. L’histoire d’amour entre ce père et ce fils est d’une beauté infinie en même temps que d’une noirceur angoissante. Les efforts désespérés de Juan pour libérer son fils de la malédiction familiale demeureront longtemps largement incompris par Gaspar, qui ne parvient pas à comprendre ce père violent, erratique, taiseux, tout en l’aimant de toutes ses forces. D’autres personnages ne sont pas en reste, merveilleusement brossés, qu’ils soient abhorrés ou chéris.
« Tu possèdes quelque chose à moi, je t’ai laissé quelque chose, j’espère que ce n’est pas maudit, j’ignore si je peux te donner quelque chose qui ne soit pas souillé, qui ne soit pas obscur, notre part de nuit. »
La construction du roman est brillante, les changements de rythme fonctionnent à merveille, ne laissant pas le souffle romanesque retomber une seconde de trop, l’écriture se faisant tantôt poétique et sensuelle, tantôt brutale et sanglante, tandis que le lecteur, partagé entre attraction et répulsion, se trouve contraint, tout comme Gaspar, de continuer à progresser afin d’obtenir des réponses, pour finir par constater à quel point tous les détails de cette histoire dantesque s’imbriquent parfaitement, révélant une intrigue d’une complexité et d’une profondeur rare, éblouissante d’une maitrise qui frôle là encore le surnaturel pour un premier roman. Monumental et terrifiant, Notre part de nuit s’impose sans conteste comme un roman phare de l’horreur et du fantastique.
Ma note (5 / 5)
Éditions du sous-sol, traduit par Anne Plantagenet , 18 septembre 2021, 768 pages
Cela m’intrigue, je ne connaissais pas du tout !
Merci pour la découverte.
Je voulais me lancer dans ce roman, car je savais que les thèmes abordés me plairaient. En lisant ton avis, j’en suis davantage sûre à présent ! Je pense le lire bientôt. Très joli article 🙂