
Coup de coeur pour ce roman familial, tour à tour drôle, tendre et poignant, le premier de la romancière américaine Julia Glass dont j’avais découvert la plume avec Une maison parmi les arbres. Sous forme de triptyque, le récit raconte, à plusieurs années d’écart, quelques jours de juin qui seront décisifs dans le cours de trois existences.
« Il n’est pas venu ici pour en rapporter des souvenirs mais pour les oublier, pour y apporter une partie des siens et les laisser tomber comme des pierres, un par un, dans la mer. »
Dans la première partie, Paul, récemment veuf, a décidé de partir en Grèce pour faire le point. Tandis qu’il fait connaissance avec les autres participants de ce voyage organisé et qu’il admire les merveilles des îles grecques, c’est aussi l’occasion pour lui de voyager dans ses souvenirs avec sa femme, Maureen. Il revient sur leur rencontre, leur mariage qui avait tant déçu ses parents, leur emménagement dans une ferme en Écosse, dans laquelle Maureen avait pu lancer son projet d’élevage canin tout en fondant leur famille avec trois fils. En se replongeant dans sa mémoire, on s’aperçoit que Paul a toujours été un peu à la marge, admiratif devant les prouesses de sa femme mais sans trop chercher à concurrencer ces Collies qui occupait tous ses esprits et son temps. Sa disparition laisse un trou béant dans son existence, qui tournait entièrement autour d’elle, et il s’inquiète pour ses enfants, en particulier son aîné Fenno qu’il sent si distant.
« Vis : une injonction qui m’a été faite explicitement voilà quelques temps et que j’essaye de mettre en pratique pour tous les privilèges qu’elle me confère. Peu importe qu’elle me paraisse souvent un fardeau que j’aimerais ranger dans un grenier pour, luxe suprême, luxe hasardeux, la conserver en vue d’un avenir indéterminé. »
Dans la seconde partie, la plus longue, c’est de Fenno dont il sera question justement. C’est celui qui est parti le plus loin de la maison puisqu’il est libraire à New-York, mais le voilà revenu sur les terres natales écossaises pour l’enterrement de son père. Ses relations avec ses deux frères sont épineuses, pleine de non-dits et de souvenirs d’enfance divergents, aussi le climat est-il tendu, ce que n’arrangent pas ses belle-soeurs. Lui aussi, comme son père sur les rives grecques, se trouve assailli de souvenirs, puisque ce nouveau deuil résonne en écho avec celui de sa mère, ainsi qu’avec ceux d’amis qu’il a vu partir. Il se souvient à quel point l’épidémie de sida l’a effrayé, lui offrant un prétexte pour ne s’attacher à personne et se condamner à la solitude. Jusqu’au jour où il a rencontré son voisin d’en face, Mal, un critique culturel extravagant et cynique qui, tombé malade à son tour, a fait appel à lui, l’invitant de force dans son quotidien et son intimité, renversant tout sur son passage.
Enfin, la troisième partie nous offre un personnage féminin. Enceinte et n’osant pas l’annoncer à son compagnon, elle s’est réfugiée à la campagne chez un ami. Le temps d’un week-end en compagnie des hommes qui iront et viendront dans cette maison inconnue, elle reviendra elle aussi sur un deuil dont elle peine à effacer la culpabilité.
« Si vous vous persuadez que le passé est plus glorieux ou digne d’intérêt que l’avenir, vous perdez toute imagination. »
Trois personnages hantés par leurs deuils, entravés par leur passé, et qui ont choisi la fuite pour parvenir à décider du chemin que prendra le reste de leur vie. La romancière retrace avec délicatesse les liens qui s’entrelacent entre eux et les autres personnages du récit, dévoilant peu à peu leurs relations et l’impact profond qu’ils auront les uns sur les autres. J’ai adoré cette lecture qui mêle avec pudeur et sensibilité des personnages extrêmement attachants, des thématiques universelles, et une émotion à fleur de peau. Tout en abordant le poids de la culpabilité, la pluralité de l’amour, la construction de l’identité, et la subjectivité des souvenirs, le roman sublime les complications des liens familiaux ainsi que la formidable capacité de résilience et d’optimisme qui réside en chacun.
Ma note (5 / 5)
Éditions Gallmeister, traduit par Anne Damour , 2 septembre 2021, 520 pages