Killarney Blues – Colin O’Sullivan

Voilà un roman noir, à l’ambiance étrange, perturbante, bouleversante, qui nous entraîne dans les ruelles de la pittoresque ville de Killarney, au sud-ouest de l’Irlande.

« Le blues parle de la souffrance. Et les Irlandais en connaissent un rayon là-dessus. »

Ah ils en sont fiers ces Irlandais, de leurs petite ville si gaie avec ses pubs et sa musique enivrante, si jolie au coeur des vallées verdoyantes typiques du Kerry… Bernard Dunphy en tout cas en est fier, et ne se lasse pas d’emmener les touristes dans sa petite calèche tirée par la vieille jument, leur racontant inlassablement les mythes et les légendes irlandaises pour leur faire plaisir, quitte à inventer un peu. Les gens le trouvent simplet et se moquent des ses manies étranges, comme celle de garder son épais manteau noir en plein mois de juillet, ou encore de composer du blues… Ne peut-il pas jouer de la musique traditionnelle irlandaise comme tout le monde ? Bernard vit seul avec sa mère depuis l’enfance, lorsque son père s’est mystérieusement noyé dans le lac où il était parti pêché, et ne cache pas son amour pour la jolie Marian, à qui il envoie des cassettes de blues en douce, tout en l’admirant de loin. N’espérant pas voir son amour payé de retour, il se console le soir autour d’une Guinness fraîche dans la compagnie de son seul ami, Jack, un footballeur agressif et bourreau des coeurs, dont la rage et la perversité cachent de lourds secrets.

« Ne pars pas plein d’espoir, comme ça, tout ne sera que meilleur. Tu ne sera pas déçu. »

Durant ce week-end anormalement ensoleillé, la petite ville de Killarney va connaitre bien des soubresauts, et le drame va lentement venir s’insinuer dans le récit. L’auteur nous offre une chronique aussi truculente que sombre de ces existences sur le fil, et les personnages sont extraordinairement dépeints, avec un réalisme poignant qui révèle leurs failles et vices les plus enfouis. Le style est fluide, tout en poésie et en pudeur, porté par la langueur du blues. C’est le roman des espoirs déçus et des héritages d’un passé insurmontable, mais malgré cette indicible tristesse qui plane sur la ville et qui broie les êtres sur son passage, il y a de la gaieté dans ces pages qui comportent toutes les contradictions de l’âme irlandaise : la beauté mélancolique des écorchés vifs, cet optimisme ravageur qui lutte au coude à coude contre les ténèbres. La pluie viendra tout emporter sur son passage, et le soleil reviendra.

Ma note 4 out of 5 stars (4 / 5)

Éditions Rivages, traduit par Ludivine Bouton-Kelly, janvier 2019, 382 pages

Laisser un commentaire