Précoce automne – Louis Bromfield

« Elle n’était sûre que d’une chose : elle n’avais jamais rien éprouvé de semblable ; cette curieuse et troublante ivresse avait quelque chose de sinistre et d’oppressant, une douceur qui vous serrait le coeur. »

Olivia est à l’aube de ses quarante ans, et bien qu’on lui donne dix ans de moins, elle sent sa vie loin derrière elle. Mariée très jeune à l’héritier d’une vieille famille aristocratique de la Nouvelle-Angleterre, la naïve jeune fille est allée de désillusion en désillusion. Très vite il est apparu clair que son mari Anson n’avait jeté son dévolu sur elle que parce qu’elle était riche et influençable, et la seule des jeunes filles de son entourage à s’être laissée leurrer sur son compte. Il ne l’a jamais aimée, et lui a à peine jeté un regard depuis la naissance de leur deuxième enfant, nécessaire pour perpétuer la lignée. Malheureusement, elle a failli là aussi puisque leur unique fils se meurt lentement d’une maladie du coeur, éteignant irrémédiablement le prestige familial. Sybil, dix-neuf ans, cristallise tous les espoirs de sa mère : celle-ci est prête à tout pour que sa fille connaisse le bonheur et l’amour, loin de cette famille poussiéreuse, puritaine et obnubilée par leur sens de l’honneur. Le retour dans le voisinage d’une cousine éloignée, Sabine, vient bouleverser l’enchantement dans lequel ils semblent tous plongés. Divorcée, ayant voyagé à travers l’Europe et fréquenté les êtres les plus en vues du moment, la raison du retour de Sabine ne paraissent pas claires, si ce n’est son désir de vengeance pour une enfance malheureuse.

« Tous ces êtres semblables comme les fils d’un tissu constituaient un petit coin de la grande tapisserie animée du monde ; ils se confondaient avec la trame du fond, dont on ne réussissait pas à les séparer. »

Olivia est un personnage particulièrement intéressant. On la rencontre alors qu’elle n’espère plus rien : comme le titre l’illustre merveilleusement, les saisons ont pour elle vite passé, et elle se retrouve bien trop jeune dépourvue de perspectives, avec le sentiment du drame d’une vie gâchée. Mais l’arrivée de nouveaux venus la sort de sa torpeur, tandis que la vérité sur les membres de la famille dont elle fait partie depuis trop longtemps se fait peu à peu jour dans son esprit. Les secrets sortent de leurs boites, les manoeuvres et intentions cachées ne parviennent plus à être totalement dissimulées.  À mesure qu’elle tente de libérer sa fille de l’emprise qui a ruiné ses propres chances de bonheur, elle s’affranchit peu à peu et se met à penser à elle-même, s’autorisant à caresser un fol espoir d’émancipation. Mais est-il encore possible de sortir des sentiers battus, alors que tout repose sur ses frêles épaules ?

« Il faut vous en souvenir, ma chère. On vous observe, on sait tout ce que vous faites. On devine presque ce que vous pensez, et quand on ne le sait pas, on l’invente. C’est une des caractéristiques de la décadence et de la faiblesse d’une société qu’on n’y vive plus de ses sentiments personnels mais en s’intéressant à ceux d’autrui. »

Louis Bromfield est un auteur qui me séduit de plus en plus, avec un style propre et une façon de dépeindre ses personnages sans concessions qui laisse entrevoir une psychologie très fine. La langueur de cette existence en demi-teinte transparait aussi bien que les passions qui menacent de se déchainer, c’est superbement mené et l’on comprend sans peine que ce roman ait remporté le prix Pulitzer en 1926, même si je crois avoir préféré Mrs Parkington et le charme énergique de cette vieille dame qui posait sur un monde en déclin un regard acéré. Il s’agit du même déclin ici, celui des vieilles familles aristocratiques qui se voient remplacées par des jeunes arrivistes ambitieux et audacieux, bien trop soucieuses des apparences et de la perpétuation de leur nom pour évoluer avec leur temps. Anson en est un exemple tragique, plongée dans la rédaction d’un livre sur l’histoire d’une famille condamnée à disparaitre dans l’indifférence générale, tout comme la tante Cassie, vieille vipère dont le seul plaisir consiste à se poser en martyre. Tout comme Edith Wharton ou Henry James, Louis Bromfield se pose en observateur incisif et éclairé de la société qui l’entoure, jetant pour sa part son dévolu sur une dynastie éloignée des fastes de New-York, dont le lustre a terni à mesure que leur puritanisme est devenu un prétexte à l’inertie.

Ma note 4 out of 5 stars (4 / 5)

Éditions Libretto, traduit par Lucette Baillon de Wailly, 7 mai 2012, 336 pages

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